France, politique

L’Élysée, territoire perdu de la nation

par David Duquesne

Il aura suffi d’un geste – un de trop. En dissolvant l’Assemblée nationale au soir d’une défaite électorale, Emmanuel Macron a ouvert la plus grave crise politique et institutionnelle depuis 1958.
Par calcul ou par orgueil, il a précipité la République dans une zone de turbulence dont personne ne sait comment elle se stabilisera. Cette dissolution, décidée seul, sans consultation, sans vision, a révélé ce que le pays soupçonnait depuis longtemps : le président gouverne contre tout le monde, y compris contre les institutions qu’il prétend incarner. La Ve République, construite pour garantir la stabilité du pouvoir exécutif, est désormais déstabilisée par celui-là même qui en est le garant.
Macron, en croyant jouer une manœuvre tactique, a fracturé l’État : il a montré qu’il n’y avait plus de cap, plus de majorité, plus de confiance, plus d’autorité.
Le pays n’est plus gouverné : il est suspendu aux humeurs d’un homme qui confond la fonction avec la performance.

Il y a dans cette présidence quelque chose de désespérément théâtral. À défaut d’incarner la France, il s’efforce d’en jouer le rôle — sur toutes les scènes, y compris les plus improbables. Sa dernière escapade égyptienne en est la caricature parfaite : un chef d’État qui, alors que son pays s’enlise dans la crise économique, sociale et morale, se rêve en artisan de la paix au Proche-Orient.

Accompagné d’une poignée de médias triés sur le volet, il s’est offert une conférence de presse fleuve sur le tarmac du Caire — une diarrhée verbale plus proche de la performance d’acteur que du discours diplomatique. Trois micros de médias français, vraisemblablement embarqués avec lui dans l’avion, suffisent à fabriquer un faux événement, diffusé sur les seules chaînes nationales : la France parle à elle-même, dans le vide, pendant que le monde réel regarde ailleurs. Pour l’accueillir, un seul représentant égyptien — un troisième couteau. L’image résume tout : le président se met en scène, mais plus personne ne joue avec lui.

Et comme pour couronner l’absurde, Emmanuel Macron propose d’organiser à Paris une conférence sur la reconstruction de Gaza. Ironie tragique : celui qui a méthodiquement déconstruit la France prétend désormais reconstruire le monde. Le pays qu’il dirige est en faillite, fracturé, épuisé — mais le président, lui, s’évade dans le mirage d’une grandeur extérieure qu’il ne parvient plus à incarner chez lui.

Ce contraste est devenu sa marque de fabrique. Incapable d’imposer le respect à ses partenaires les plus proches, il croit regagner du prestige en multipliant les voyages et les postures d’arbitre planétaire.

Pendant ce temps, Boualem Sansal, grand écrivain franco-algérien, croupit dans une prison d’Alger, condamné pour « atteinte à l’unité nationale » après des propos d’écrivain — autrement dit, pour avoir pensé librement. Cette arrestation arbitraire, dénoncée par de nombreux intellectuels, illustre la dérive autoritaire du régime algérien.

Et que fait la France ? Rien. Silence. Aucun geste, aucune fermeté. Un écrivain français enfermé par un pouvoir étranger, et un État français muet, paralysé, tétanisé. Dans les faits, Boualem Sansal est un otage politique d’un régime autoritaire. Et l’impuissance de Paris face à cette injustice dit tout : la diplomatie française n’intimide plus personne. L’homme qui se veut stratège global ne parvient même plus à protéger les siens. Il est prompt à proposer des conférences internationales, mais incapable d’exiger la libération d’un écrivain francophone, ou de défendre la liberté d’expression qu’il prétend célébrer. Faut-il, pour apaiser Alger, reconnaître une seconde fois l’Algérie, après les accords d’Évian ? Faut-il élargir encore les privilèges issus des accords de 1968 au bénéfice d’une nomenklatura qui vit de la mémoire et du chantage diplomatique ?

Ce n’est plus de la diplomatie, c’est de la soumission consentie. Une France qui s’excuse d’exister, dirigée par un président persuadé d’avoir raison contre tous, enfermé dans son propre raisonnement, forcené idéologique persuadé d’incarner la raison pure face à un peuple jugé irrationnel.

Et voilà qu’aujourd’hui même son parrain politique, Alain Minc, le lâche. Celui-là même qui l’avait adoubé, protégé, et porté au pinacle du « cercle de la raison » — cette oligarchie intellectuelle convaincue d’être seule dépositaire de la lucidité —, le déclare désormais « pire président de la Ve République » et redoute qu’il « détruise la Ve République ». Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce désaveu n’est pas moral, il est stratégique. Minc ne reproche pas à Macron ses idées, mais son échec à les faire accepter. Pour lui, le problème n’est pas la déconstruction du pays, mais l’incapacité du président à la faire avaler aux « Gaulois réfractaires ».

Le cercle de la raison se découvre désavoué non par la faillite de sa doctrine, mais par le rejet populaire de son arrogance. L’élite pleure non sur la France brisée, mais sur la perte de son monopole. Macron a échoué, non pas parce qu’il a trop déconstruit, mais parce qu’il n’a pas su convaincre le pays de s’y résigner.

C’est toute la tragédie du macronisme : un projet idéologique sans peuple, une ambition mondiale sans racines, un pouvoir rationnel devenu fou.

L’Élysée, jadis cœur battant de la République, s’est mué en territoire perdu de la nation — un sanctuaire où l’on rejoue la grandeur passée tandis que la réalité nationale s’effondre à l’extérieur.

La France, elle, n’attend plus des effets de manche, mais des actes de courage. Si le président veut encore mériter le nom de chef d’État, qu’il commence par libérer la parole, protéger les siens et écouter son peuple. Faute de quoi, il ne restera de sa présidence qu’une chose : un long monologue dans un palais vide.

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