écriture inclusive, imposture

Le prélude à l’androphobie institutionnelle: démasculinisons la langue!

Yana Grinshpun

L’idéologie n’a  pas peur de virer au ridicule. Et ses propagateurs non plus. C’est peut-être parce que le ridicule ne tue pas et ils le savent.

Depuis quelque temps on voit apparaître chez certains universitaires la revendication inédite brandie comme un étendard de vertuisme du genre,… ou du sexe ? ou les deux ? -, avec eux on ne sait jamais de quoi il s’agit.

C’est ainsi qu’une grande UFR de la très respectable Université Lyon 2 exhibe sa maîtrise de l’orthographe dite « inclusive » et annonce urbi et orbi l’utilisation de « féminin générique », phénomène de langue inconnu aux usagers ordinaires, ni à la légion des linguistes dont l’autrice de ce billet (car inexistant). Voir par exemple cette annonce de l’UFR de sociologie, anthropologie et sciences sociales.

« David Garibaray*, directrice de l’UFR de sociologie, anthropologie et Sciences politiques, vous présente le bâtiment H ». L’asterisque renvoie à la note suivante : les statuts de l’UFR ASSP emploient le féminin générique (voir la page de l’UFR https://assp.univ-lyon2.fr/ )

Il va sans dire qu’à ce propos, l’esprit taquin ne peut ne pas penser à Trissotin ou à Humpty Dumpty dont les conceptions langagières ont pu bien embarrasser la pauvre anglophone d’Alice. Mais l’effet comique se renforce lorsque l’on voit Monsieur la directrice de l’UFR dans une courte vidéo sur la page d’accueil.

Ce n’est pas un transgenre, ni une personne a-genre, ni autre espèce de ce genre, loin de là. C’est Monsieur le directrice. Mais sur la vidéo, il est désigné par le masculin. On ne comprend plus rien dans la gabegie idéologique de l’UFR qui se contredit d’une ligne à l’autre.

 

Blagues à part, les linguistes penseraient à une erreur et pas seulement à cause de la directrice qui est directeur et pas une personne qui a changé de sexe. La vertu égalitariste ne rime pas toujours avec la bonne connaissance de la langue. C’est que David Garibary, qu’on voit sur cette vidéo est un individu singulier, directeur de cette UFR. Il ne représente pas la classe de directeurs, mais un directeur particulier, fût-il directrice. Le générique, que les  « progressistes » de l’UFR proclament utiliser, serait de mise dans un énoncé du type On cherche quelqu’un pour un poste de directeur. Il s’agit d’une fonction générique.  L’énoncé avec le féminin générique (qui n’existe pas dans la nature ni en langue) serait, en suivant la logique de l’UFR : On cherche quelqu’un pour un poste de directrice.

Car il y a une différence entre le fonctionnement des catégories et des énoncés génériques. En l’occurrence, nous avons affaire à un énoncé qui présente l’individu singulier, David Garibaray, manifestement un homme (anatomiquement parlant).

L’annonce prétendument égalitariste de l’UFR est une manifestation d’obscurantisme linguistique et idéologique ignorant qui se ridiculise pompeusement. La suite de l’annonce dit :

Ce lieu accueille de nombreuses salles de cours, les bureaux administratifs et enseignants« .

Ce dont on déduit soit qu’il n’y a pas de femmes parmi les enseignants (puisque les statuts utilisent le « féminin générique »), soit que les annonceurs ont déjà oublié leur règle. Lorsque l’on déclare que tel fait de langue est générique, cela se rapporte à tout le lexique et pas seulement à ce qui plaît aux militants. C’est le propre du fonctionnement linguistique.

Ces délires linguistiques ostentatoires montrent également aux étudiants que ce qui les attend au sein de cette UFR ou d’autres pareilles qui ne manqueront pas de suivre, c’est la nécessité de pratiquer le culte de l’inclusivisme radical. La vertu a souvent tendance à devenir dictatoriale, comme l’ont montré à plusieurs reprises les révolutions sociales et linguistiques. Ainsi, en Russie communiste, à la place de gospodine/gospoja (les mots de la langue russe « pré-révolutionnaire » correspondant respectivement aux Madame/Monsieur du français) est venu tovaritsch (camarade) qui, par ailleurs, abolit la différence entre les sexes[1]. Ceux qui utilisaient les anciens termes étaient suspects de mettre en question l’idéologie dominante et à une certaine époque risquaient les interrogatoires de police[2].

L’invention de ce nouveau fait de langue dont seuls ses utilisateurs et des curieux comme les auteurs de ce blog sont au courant est une innovation que l’histoire de la linguistique n’a jamais connue. Et pour cause, la tâche du linguiste n’est pas d’intervenir sur la structure de la langue, mais de l’observer. Or, ce genre d’innovation provient de linguistes (ceux qui sont censés la décrire) qui voudraient la changer, ce qui relève de l’utopie absolue. La langue n’est à personne : ni aux femmes ni aux hommes. Elle est. Elle a ses raisons que la raison ne connaît pas, quelque féministe soit-elle (la raison).

La tâche du linguiste est de la décrire  (dans toutes ses hypostases) et de proposer les modèles descriptifs qui permettent de comprendre son fonctionnement sans « tricher » pour la rendre conforme à ses caprices personnels.

Comme le rappelle A. Culioli (2002 :20)[3]

« on ne triche pas avec les phénomènes ; et lorsque l’on a affaire avec des phénomènes où parfois une indication ténue va jouer un grand rôle, eh bien, on fait avec ce qu’on a, on n’extrapole pas. Et puis, si on est amené à faire quelque chose qui ressemblerait à une extrapolation, un raisonnement par exemple, alors il faut absolument que ce raisonnement soit fondé au point de vue méthodologique, c’est-à-dire, qu’il ait toutes les caractéristiques de rigueur, de cohérence, tout le caractère explicite que l’on est en droit d’attendre de tout raisonnement qui veut être autre chose qu’une simple prise de position subjective ».

 

Personne ne peut imposer aux usagers l’utilisation de la langue qui ne correspond à aucune réalité : le français n’est pas l’iroquois, le féminin ne neutralise pas l’opposition des genres grammaticaux (car c’est cela la prétention de ces drôles de linguistes). On peut faire ce qu’on veut, aimer ou pas ce phénomène, comme on peut aimer ou pas le fait que la terre tourne autour du soleil et que la neige est blanche mais c’est la réalité de la langue.

L’exemple du féminin générique est une bonne illustration d’une démarche fondée sur un mensonge garanti par l’institution du savoir. Cet emploi ainsi que l’écriture inclusive, qui prétend lutter contre le sexisme institutionnel est justement une pratique institutionnelle totalement absente des pratiques communes. La grande UFR universitaire incarne le savoir et le pouvoir institutionnel d’octroyer les diplômes et de garantir la reproduction du savoir reconnu. Le féminin générique n’existe pas ni en langue, ni dans le discours ni dans les usages effectifs du français, ni dans les grammaires. Il n’existe que dans l’imagination d’une secte de charlatans idéologiques. Une secte dans cette perspective désigne « un groupe qui se sépare d’une école de pensée, d’une Église, d’une religion ou d’une institution politique pour se réunifier autour d’un maître hérétique »[4]. Si les premières sectes proposaient une philosophie de la liberté, les sectes contemporaines, comme celle des « inclusivistes » proposent une servitude à des idées à la mode qui ne soient pas fondées sur une démonstration, mais sur une foi. Le charlatan de ciarlatano (ciarlare –parler avec l’emphase) est celui qui « exploite la crédulité publique, qui recherche la notoriété par des promesses, des grands discours » (voir  I. Blondiaux, 2009, Psychiatrie contre Psychanalyse, éd, le félin : p. 64). Les charlatans modernes sont des imposteurs intellectuels qui promettent de guérir les maux sociaux par une action qu’ils annoncent salutaire et propice à la santé de la langue : « démasculinisation ». Peut-être que l’étape suivante serait la démasculinisation de la société ? Va savoir….

Je me suis inspirée des travaux d’Isabelle Blondiaux, psychanalyste et analyste du discours pour cerner les pratiques des charlatans intellectuels. Qu’elle soit ici remerciée.

[1] Mais du point de vue des extrémistes d’aujourd’hui, il s’agit certainement non pas d’un terme neutralisant la différence des sexes, mais d’un affreux masculin générique, signe du sexisme du russe.

[2] Cette situation est bien décrite sur les pages d’un roman connu de Vassili Aksionov (1994) Une saga moscovite.

[3] Culioli, A. (2002), Variations sur la linguistique, Entretiens avec F. Vau, Paris : Klinksieck.

[4] Roudinescou, E. La patient, le Thérapeute et l’Etat, p.79

3 réflexions au sujet de “Le prélude à l’androphobie institutionnelle: démasculinisons la langue!”

  1. Où ces charlatans/illuminés s’arrêteront-ils ?
    Gageons que les étudiants éviteront soigneusement de s’inscrire dans ce département, hormis les crétins et/ou idéologues.
    Et que penser des réactionnaires grajdanine/grajdanka ?

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    1. On ne sait pas où ils vont s’arrêter. Il faudra peut-être les arrêter! En tout cas, les étudiants d’aujourd’hui étant moins cultivés et donc moins armés pour résister à des absurdités enseignées officiellement dans les cours de linguistique (et sociologie et philosophie et histoire), peu sauront demander en entendant de leur enseignantes « l’imaginaire français est sexiste », comment cela a été établi, qu’est-ce que imaginaire, comment on y accède et comment on compte la proportion du sexisme là-dedans. Un étudiant apprend ce qu’on lui enseigne sans toujours interroger les fondements. C’est là tout le problème. Et c’est un vrai problème épistémologique. Le genrisme, le décolonialisme et l’indigénisme sont des nouvelles formes du marxisme-léninisme.

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      1. Certes. Mais comment les arrêter puisque ces groupuscules ont l’oreille de la presse convenue et des politiques bien-pensants en recherche de votes ? La très grande majorité des Français se moque éperdument de ces théories fumeuses, mais se trouve dépourvue de tout moyen d’action.
        J’ajoute à votre dernière énumération l’écologisme, qui n’a rien à voir avec la nécessaire science de l’écologie.

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