par Yana Grinshpn
pulblié dans l’Express
Le Petit Robert est sous les feux de la rampe et tout le monde en parle. Mais ce texte ne portera pas sur le nouveau-né par insémination artificielle : « iel ». Les linguistes se sont déjà demandés quelles en sont les formes pronominales correspondant à un complément d’objet direct et indirect, d’autres ont remarqué les incohérences d’accord (« iel est con » reste toujours masculin, hélas), d’autres encore ont vu que le neutre a curieusement une forme féminine « ielle ». Bref, tout cela a déjà été dit et qu’iels se débrouillent comme ils peuvent. Après tout, la créativité lexicale est à l’honneur et le français commun est d’ores et déjà has been. Allons, enfants de la matrie, laissons « iels » faire.
Les dictionnaires sont réputés décrire le patrimoine linguistique aussi objectivement que cela est possible. Or, les ouvrages lexicographiques ne sont pas « neutres », ils sont fabriqués par des êtres humains qui ne sont pas exempts de préférences idéologiques. Ils sont engagés dans les débats sociétaux, ils ont leurs opinions en matière d’enseignement, de langue, d’usages etc. Il est donc impossible d’exclure le fait que des choix tout à fait personnels transparaissent dans les dictionnaires. Alain Rey, dans sa préface de La lexicographie militante[1] écrit à propos des discours lexicographiques :
« On voit ici que la décision de produire un dictionnaire, que le projet lui-même peut faire partie d’une action militante qui peut dépasser en l’englobant l’activité lexicographique même ».
Le militantisme peut être bénéfique pour l’avancement vers l’émancipation, le progrès et toutes les bonnes causes socio-politiques ; de cela, il n’y a aucun doute. Le Petit Robert a toujours été considéré par les linguistes comme un dictionnaire progressiste dans le sens où il essayait de tenir compte de la grande variété des usages Mais il peut aussi, tout en affichant son implication au bénéfice des bonnes causes faire le contraire, en proposant une terminologie sujette à caution, voire révisionniste.
Prenons par exemple Le Robert Junior (CE, CM, 6°), éd. 2020 qui contient une partie « Noms propres », fort utile aux enfants qui doivent préparer leurs exposé pour les cours d’histoire-géographie. On y découvre une vision de l’histoire très particulière :
« Juda (royaume de)-Royaume du sud de la Palestine. Il fut fondé vers 931 avant Jésus-Christ par les tribus de Juda et de Benjamin. Le roi de Babylone Nabuchodonosor II le détruisit après avoir pris Jérusalem à plusieurs reprises (597 et 687). »
Cette définition est fausse. Le royaume de Juda ne pouvait pas exister en Palestine, car le terme « Palestine » a été inventé en 135 par l’empereur romain Hadrien après qu’il a rasé Jérusalem, capitale de ce royaume, à la suite de la révolte des Judéens. Il décide alors d’effacer les traces de la présence juive en Judée et renomme Jérusalem « Aelia Capitolina » et la Judée « Palestine ». La province de Judée devient la Palestine, ainsi nommée en référence aux ennemis des Hébreux les Philistins (un peuple d’origine indo-européen installé sur le littoral cananéen).
Le royaume de Juda ne peut donc pas exister en Palestine, car une telle entité géographique n’existe pas à l’époque du royaume de Juda.
Mais continuons la lecture :
« Jérusalem –ville de Palestine, capitale déclarée de l’État d’Israël, contestée par les pays arabes. Elle compte 750000 habitants, répartis entre la ville moderne (à population juive) et la vieille ville est ses faubourg (à population surtout musulmane) […]. Après la première guerre israélo-arabe (1948), elle fut partagée en deux secteurs : israélien à l’ouest et arabe à l’est. En 1967, les Israéliens occupèrent la ville dans le secteur arabe, puis la proclamèrent capitale éternelle de l’État d’Israël. Aujourd’hui, son statut reste un obstacle majeur à une paix définitive entre Israéliens et Palestiniens ».
Cette définition pose également un problème non seulement historique mais aussi politique, ce qui dépasse la mission d’un ouvrage destiné aux enfants.
Jérusalem n’est pas une ville de Palestine, ce nom ne correspond aujourd’hui ni au territoire historique de la province de Judée, ni à la Palestine mandataire qui n’existe plus. Jérusalem est la capitale d’Israël. La contestation des pays arabes, mentionnée par le dictionnaire, n’a aucun rapport avec son statut, ni avec la définition lexicographique. À titre de comparaison, le PR ne fait aucune mention du statut disputé de la délimitation des eaux territoriales de la mer d’Egée par la Grèce et par la Turquie, ni du statut de Gibraltar qui se trouve sous le contrôle du Royaume Uni mais qui est revendiqué par l’Espagne.
Il est également faux de dire que le statut de Jérusalem « reste un obstacle majeur à une paix définitive entre les Israélien et les Palestiniens ». Les éditeurs de 2020 qui semblent être engagés dans les commentaires politiques, ignorent-ils que lors des accords Camp David II il a été proposé aux Palestiniens une souveraineté sur les quartiers arabes extérieurs de Jérusalem Est (alors que ces quartiers ne faisaient pas partie de la municipalité de Jérusalem avant 1967 et une souveraineté sur les quartiers chrétien et musulman de la vieille ville) ? Yasser Arafat a refusé toutes les propositions faites par les Israéliens. Dire que le statut de la ville est un obstacle pour la paix est une fausse information, qui manipule tant les faits historiques que les esprits des enfants qui apprennent l’histoire avec cet outil pédagogique douteux.
Il est évident, à la lumière de ce qui est montré, que le principal obstacle à la paix où qu’elle soit, est le militantisme, en l’occurrence celui du Petit Robert qui n’est justifié que par son parti pris de révisions de l’histoire, et que cette posture n’a, à proprement parler, rien à voir avec de la pédagogie.
[1]Gaudin, F. (dir.) (2013) La lexicographie militante, Paris, Champion.
Quelle mauvaise foi… Quel Etat, à part les USA de Trump, reconnait Jérusalem comme capitale d’Israel ? Pourquoi les dictionnaires devraient faire du militantisme pro Israel ? Et pourquoi cibler le Petit Robert, alors que n’importe quel dictionnaire de France fait exactement les mêmes choix, qui sont les choix de la diplomatie française depuis si longtemps ?
Pour info, le lien vers le Larousse des noms propres :
https://www.larousse.fr/encyclopedie/ville/J%C3%A9rusalem/125871#406641
Je cite le Larousse, sur Jérusalem :
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Lors de la « guerre des six jours » (→ guerres israélo-arabes, 5-10 juin 1967), la vieille ville de Jérusalem tomba, presque intacte, aux mains des troupes israéliennes. La ville fut aussitôt réunifiée et administrée comme partie intégrante de son territoire par Israël. Cette annexion de facto fut officiellement entérinée lorsque le Parlement israélien adopta, le 30 juillet 1980, une loi fondamentale proclamant « Jérusalem réunifiée capitale éternelle d’Israël ».
Depuis le début du processus de paix (1991), le futur statut de Jérusalem constitue l’une des pierres d’achoppement majeures entre Israéliens et Palestiniens pour parvenir à un règlement de paix définitif.)
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Monsieur ou Madame, mais peu importe, la mauvaise foi est celle de tous les dictionnaires de France et de Navarre, de tous les Etats qui ne reconnaissent pas Jérusalem comme capitale d’Israël. Vous avez raison. En fait oui, il faut s’attaquer à la totalité des récits révisionnistes qui endoctrinent les enfants et certains adultes mal informés. Et c’est clairement de la bonne foi de dire que le royaume de Juda était en Palestine? Si vous êtes de bonne foi, allez, attaquez-vous aux autres, cela sera une bonne oeuvre de charité chrétienne.
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