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La matriarche et le caïd : pacte éducatif dans l’islam communautaire

par David Duquesne

Chaque année en France, on estime à environ 70 000 le nombre de mariages arrangés, parfois forcés. Ce chiffre, largement contesté et rarement documenté officiellement, est surtout le reflet d’un tabou majeur : celui d’une loi du silence, renforcée par la peur des représailles familiales, l’omerta communautaire, et le refus institutionnel de nommer les choses par peur d’accusations de racisme ou d’islamophobie.

Or, très peu de femmes issues de familles musulmanes dénoncent publiquement les mariages arrangés qu’elles ont subis. Non pas parce qu’elles les acceptent, mais parce que le poids de la honte, du contrôle social, du bannissement symbolique — voire réel — est immense. Derrière cette invisibilisation, il ne faut pas chercher une autorité masculine évidente, un père brutal ou un frère autoritaire. Le pouvoir est ailleurs. Il est diffus. Et il est féminin.

Les gardiennes de la tradition

Dans les familles maghrébines traditionnelles, ce sont les femmes — en particulier les mères — qui organisent les mariages. Ce sont elles qui vont au pays chercher une épouse « plus docile », moins « francisée » pour leur fils incapable de s’installer avec une femme libre. Ce sont elles qui négocient, choisissent, forcent parfois. Les pères, eux, ne s’en mêlent presque jamais.

Ce rôle maternel, loin d’être secondaire, est central dans la reproduction du système patriarcal. Ces mères ne sont pas soumises, elles sont les architectes discrètes de la transmission culturelle, religieuse et genrée. Elles ne gardent pas un temple, mais une mosquée domestique : avec ses règles, ses hiérarchies, ses interdits, ses séparations.

Une éducation asymétrique, fabriquée à la maison

L’éducation qu’elles donnent à leurs enfants est radicalement dissymétrique :

• Les filles sont contrôlées, recadrées à chaque geste, chaque vêtement, chaque sortie. On les prépare à devenir des épouses silencieuses, endurantes, soumises, capables de « tenir une maison » et un mari. Les tantes, les grandes sœurs, les voisines participent à ce dressage affectif et social.
• Les garçons, eux, sont glorifiés. Dès le plus jeune âge, ils ont tous les droits : sortir tard, traîner, parler mal, insulter, s’imposer. Ils sont servis par les filles de la maison, qui se lèvent pour leur apporter le thé, la semoule ou la télécommande. Dans certains logements, il existe un apartheid sexuel tacite : un salon pour les hommes, un autre pour les femmes. Et lorsqu’un garçon rentre, les femmes se lèvent.

La mère voit dans son fils un petit prince, un héritier du nom, de l’honneur, du groupe. Il devient un caïd domestique — d’abord choyé, puis intouchable, puis dominateur. Il n’est pas simplement autorisé à commander : il est éduqué pour régner.

Le double choc : enfant roi + culture du caïd

Depuis les années 1970, la société française valorise l’enfant roi occidental : choyé, écouté, couvert de jouets et de tendresse, parfois capricieux, mais dans un environnement de parole, de négociation, de psychologisation.

Face à cela, le petit caïd maghrébin est d’un autre ordre :
• Il est moins entouré matériellement, mais beaucoup plus sacralisé.
• Il n’est pas écouté pour ce qu’il ressent, mais obéi pour ce qu’il est censé représenter : un mâle, un chef, une fierté.

Ce garçon-là, élevé à la dure dans la tendresse déformée de sa mère, entre dans l’école et dans la société avec une vision du monde fondée sur le rapport de force. Il ne comprend ni la négociation, ni l’égalité, ni la contestation. Il croit que le monde est à dominer ou à subir. Et comme il a été traité comme un roi à la maison, il refuse toute autorité qui ne se soumet pas.

Ce garçon n’est ni l’enfant roi occidental, ni l’enfant battu ou abandonné. Il est l’enfant survalorisé dans un système de domination inversée, dont les femmes sont les productrices. Il est à la fois fragile et violent, autoritaire et infantile, intouchable et incapable de gérer la contradiction.

Conclusion : un patriarcat à visage féminin

Le patriarcat maghrébin en France n’est pas celui que les discours féministes attendent. Il n’est pas imposé uniquement par les hommes, mais construit, justifié, et transmis par les femmes elles-mêmes.
Les mères — qu’il faut cesser de sacraliser sous prétexte qu’elles “portent tout” — sont les gardiennes d’un ordre sexuel, moral, identitaire qui produit des hommes à la fois dominants et dépendants, et des femmes soumises, culpabilisées, parfois complices.

Tant que ce patriarcat à matrice féminine ne sera pas nommé, décrit, confronté, on ne comprendra rien à certaines formes de violences, de dérives sociales ou de crises identitaires.
Et tant que la mère restera au centre du dispositif sans être questionnée, toute tentative d’émancipation sera interprétée comme une trahison.

1 réflexion au sujet de “La matriarche et le caïd : pacte éducatif dans l’islam communautaire”

  1. merci c’est passionnant. Ce mélange d’archaïsme et de modernité avec un homme glorifie mais finalement passif, exposé. Double sacrifice: celui des filles aliénées par le travail et par le manque de liberté mais au fond gardiennes du temple mais aussi celui des garçons formés à la violence et à la paresse et sans autonomie. Terrible monde à venir

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