- Nous n’avons pas l’habitude de publier les textes non signés sur notre blog, nous assumons ouvertement toutes nos positions exprimées soit ici soit dans la presse. Ce collègue, qui a désiré de rester dans l’anonymat pour des raisons que nous pouvons comprendre, a publié son témoignage sur le site du manifeste des cent. Ce témoignage, raisonné et modéré, permet d’expliciter l’essence de la tribune dont les critiques retordent systématiquement les propos. Il a été initialement publié sur le site du manifeste https://manifestedes90.wixsite.com/monsite
- Témoignage d’un maître de conférences d’une université de région, signataire de notre pétition
« On voudra bien m’excuser pour l’anonymat, mais je suis un peu trop jeune et je gagne encore trop modestement ma vie pour m’offrir le luxe d’un suicide professionnel (ceci en réponse à certaines critiques sur l’âge des signataires).
Certains de nos collègues contradicteurs nient l’existence de l’islamo-gauchisme, et prétendent que nous sommes incapables d’en donner une définition. Il me semble au contraire que l’islamo-gauchisme, quel que soit le nom qu’on lui donne (1), correspond à une réalité parfaitement identifiable. Il consiste à considérer tous les musulmans comme les nouveaux « damnés de la terre » et à détourner le regard de « l’islamisme » pour pointer du doigt « l’islamophobie ». Le discours de victimisation qui caractérise l’islamo-gauchisme s’inscrit dans la logique néo-marxiste de critique de la « domination ». Le paradigme de la « domination » a divers champs d’application mais il trouve aujourd’hui son terrain de prédilection dans les mouvements décoloniaux importés des États-Unis, où la lutte des classes a été remplacée par la lutte des races. Ces mouvements font actuellement de l’entrisme dans les universités, entrisme dont profitent à l’occasion les islamistes.
Bien entendu, aucun islamo-gauchiste ne revendique des accointances avec les terroristes islamistes, même si certains groupes, hors de l’université, entretiennent à ce sujet un discours passablement ambigu. En général l’islamo-gauchisme se démarque clairement des actions islamistes. Mais il s’en démarque avec une certaine gêne, en prenant bien soin de ne pas nommer l’islamisme, préférant utiliser des mots comme « fanatisme », « acte odieux », « assassinat abject » (2). On peut parler de déni, ou d’aveuglement – au choix.
L’islamo-gauchisme utilise une grille d’analyse marxiste qui interdit de voir le problème autrement que sous l’angle social. La violence islamiste y est dé-corrélée de son support idéologique et mise sur le compte des injustices sociales, des discriminations, voire d’un racisme « structurel » ou racisme d’État, de sorte que les sociétés occidentales auraient elles-mêmes enfanté le monstre qu’elles prétendent combattre. Les marxistes, les « décoloniaux » et les divers « intersectionnalistes », bien présents dans certains nos départements de sciences humaines et sociales, s’entendent sur les causes du problème et convergent dans leur condamnation globale du modèle occidental.
Si l’islamo-gauchisme prend rarement la forme « dure » d’une complaisance affichée, il existe en revanche un islamo-gauchisme « soft » qui a pour principe la loi du silence : il ne faudrait surtout pas désigner les choses par leur nom, car cela reviendrait à « mettre de l’huile sur le feu » et, pire encore, à faire « le jeu de l’extrême droite ». On connaît les dégâts causés par cette loi du silence dans nos établissements d’enseignement secondaire. En limitant le plus possible la connaissance et l’évaluation des dangers qui nous menacent, en neutralisant nos capacités de défense, cet islamo-gauchisme – qui ne veut surtout pas entendre parler de « territoires perdus de la république » (3) et voit partout de l’islamophobie – crée un terrain favorable à la progression du djihadisme et retarde toute possibilité de solution.
Il faut bien voir qu’en assimilant les musulmans à des opprimés, sans faire de nuances, l’islamo-gauchisme commet un amalgame qui se retourne au premier chef contre les musulmans eux-mêmes, contraints de canaliser une jeunesse à laquelle on a inculqué un ressentiment contre notre civilisation. Certains imams (4) réclament l’arrêt de cette victimisation qui alimente la soif de vengeance et profite en définitive aux tendances radicales de l’islam politique. On espère qu’ils seront entendus.
L’islamo-gauchisme peut prendre, et prend souvent, des formes agressives : menaces, censure, intimidations : cela en toute impunité, car ceux qui se livrent à ces pratiques se proclament défenseurs des opprimés, donc agissent au nom du Bien. Je ne rappellerai pas l’espèce de « chasse à l’homme » dont un collègue historien fut victime en 2008, alors que le point d’interprétation jugé contestable aurait pu faire l’objet d’une controverse académique tout à fait classique. Depuis, de nombreuses atteintes à la sérénité du travail académique ont été constatées (voir sur cette page « preuves à l’appui » et « témoignages »), et, encore récemment, un sociologue interviewé sur une chaîne de télévision expliquait qu’il subissait des accusations d’islamophobie de la part de certains collègues, lesquels menaçaient aussi de s’en prendre à ses étudiants.
En principe, ces pratiques ne devraient pas exister. La liberté académique devrait être totale et l’université devrait se composer de savants et d’experts, non d’idéologues. Les facultés ne devraient pas être politisées, les enseignants-chercheurs ne devraient pas diffuser leurs opinions politiques dans l’exercice de leurs fonctions et les présidents d’université devraient s’abstenir de donner des consignes de vote à la veille d’un second tour d’élection présidentielle.
Les études décoloniales me paraissent avoir toute leur légitimité quand elles acceptent de se soumettre aux critères de la recherche scientifique ; le problème est qu’aujourd’hui, comme nous le constatons régulièrement, certains travaux de médiocre qualité bénéficient d’une caution institutionnelle pour des raisons qui tiennent plus à des sympathies idéologiques qu’à des exigences de rigueur et de probité.
Certains collègues qui ont signé la « contre-tribune » nous accusent de diviser la communauté universitaire, dans une période où nous devrions être unis. Je pense pour ma part qu’il vaut mieux une franche division qu’un consensus factice reposant sur des craintes, mais je comprends que nos contradicteurs soient attachés à une unité qui s’est toujours faite autour d’eux, et je conçois que toute ébauche de pluralisme leur apparaisse comme un crime de lèse-majesté, forts de la conviction, acquise depuis les années 60, qu’ils ont vocation à dominer sans partage le champ intellectuel.
Certains, de bonne foi, jugent la phrase de M. Blanquer méprisante parce qu’elle jetterait l’opprobre sur l’ensemble de la communauté universitaire. Ce qui tend à discréditer cette communauté, c’est bien plutôt, me semble-t-il, la confusion que certains entretiennent entre leur position institutionnelle et leur engagement politique, au nom de la prétendue infaillibilité de leur autorité morale.
D’autres supposent que le ministre aurait monté une opération de diversion pour faire oublier les réformes qui se mettent en place (LPR, suppression du CNU, réforme des INSPE, etc.). Ils prétendent que les signataires de cette tribune seraient ses complices. En ce qui concerne les intentions réelles ou supposées du ministre, je ne suis pas dans le secret des dieux, je n’ai donc pas de réponse à leur faire. En revanche, il me semble que l’on peut approuver une phrase d’un ministre sur un problème précis sans que cela signifie un accord global avec l’ensemble de sa politique ou un soutien à des réformes sur lesquelles les avis peuvent évidemment être extrêmement divers. Ceux qui défendent cette interprétation « complotiste » de notre tribune devraient se renseigner un peu ; ils constateraient que la tribune que nous avons signée, loin d’être liée à l’agenda politique du moment, s’inscrit dans la continuité d’actions antérieures dont les premières remontent à plusieurs années (5).
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(1) L’expression s’est installée dans les années 2000. À l’origine elle renvoie au rapprochement esquissé, lors des forums sociaux mondiaux de Porto-Alegre, entre altermondialistes et islamistes, sous la bannière de l’anti-impérialisme. Sur l’usage de ce terme, je renvoie aux précieuses analyses de Pierre-André Taguieff. Certains de nos contradicteurs essaient de disqualifier cette expression au motif qu’elle leur fait penser à « judéo-bolchevisme ». J’avoue que, malgré cette ressemblance morphologique, le parallélisme ne m’avait jamais effleuré, pas plus que la possibilité d’établir un voisinage entre « social-libéralisme » et « national-socialisme ». Je remercie donc nos aimables contradicteurs d’avoir attiré mon attention sur ces subtilités linguistiques.
(2) Modèle du genre, le communiqué la FERC-CGT rédigé au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, évitait soigneusement toute référence à l’islamisme, mais appelait en revanche à « soigner les fractures d’une société minée par les inégalités sociales et les discriminations ». On peut s’interroger sur le sous-entendu : faut-il comprendre que l’assassin avait été victime d’un système profondément injuste et discriminatoire ? J’avais compris, pour ma part, qu’il avait bénéficié de la générosité de l’État français, mais comme nos collègues contradicteurs éveillent en moi des doutes (voir note ci-dessus), je vais poursuivre mes investigations à ce sujet.
(3) Je fais bien sûr allusion à l’affaire Georges Bensoussan, attaqué en justice par le CCIF, mais accusé de racisme d’abord par des militants associatifs et des chercheurs, avant d’être relaxé par la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Quand on se penche sur cette affaire, et sur bien d’autres du même style, hélas trop nombreuses, on se demande de quel côté il faut chercher la volonté d’instaurer une « police de la pensée ». Ceci pour répondre aux accusations portées contre nous.
(4) Notamment Tareq Oubrou, au lendemain de l’assassinat de S. Paty.
(5) Voir, entre autres, le « Collectif de 80 psychanalystes » sur « la pensée décoloniale et le narcissisme des petites différences », ou encore « Le décolonialisme, une stratégie hégémonique », tribune dans laquelle on trouve déjà un certain nombre des présents signataires. Voir aussi les actions menées par « Vigilance universités », au mois de mai 2019, en soutien à notre collègue Philippe Brunet. J’en oublie certainement… »