texte publié par le Drenche dans la rubrique Débats https://ledrenche.ouest-france.fr/faut-il-changer-le-langage-pour-changer-la-societe/
Toute langue peut exprimer toutes les idéologies et les pensées plus contradictoires. C’est en français commun que la loi autorisant l’avortement a été écrite, discutée et votée par les hommes et par les femmes de bonne volonté. C’est en allemand commun que Mein Kampf a été écrit, et c’est en allemand commun aussi que Victor Klemperer a tenu son journal La langue du troisième Reich qui décrivait les ravages du nazisme. Il en découle qu’aucune langue n’est par elle-même machiste ou féministe, libertaire ou totalitaire. Dire que la langue est sexiste revient à confondre la langue en tant que système de signes avec le discours —l’usage de ce système en situation — et qui dépend de l’intention du locuteur. Le système de la langue ne contient aucune axiologie, ni négative ni positive, ni sexiste, ni féministe. Les mots ne sont pas les choses du monde : les formes linguistiques peuvent désigner des êtres, des objets existants ou imaginaires, des idées abstraites, mais aussi des relations entre les signes linguistiques exigées par les contraintes internes du système linguistique. La langue ne détermine pas non plus la pensée, sinon nous aurions tous les mêmes pensées, la même vision du monde et nous adhérerions aux mêmes idéologies.
L’expression « faire évoluer la langue » est trompeuse, car la langue n’est pas uniquement le lexique ni l’écriture où l’on interviendrait selon nos lubies idéologiques. D’une part, le lexique évolue suivant les changements sociaux (avocate, magistrate, ingénieure etc. apparaissent bien après que les femmes ont accédé à cette fonction) et non à l’inverse, et d’autre part, la féminisation en français est toujours possible, lorsque le contexte l’exige, grâce aux déterminants (une ministre, une geek) ou pronoms (Elle est haut fonctionnaire à l’UNESCO).
Quant à l’écriture, c’est un code qui note la langue, et n’en est qu’une facette. L’invention de l’écriture « inclusive » n’est pas un fait de langue produit par les locuteurs, mais une intervention politique volontariste qui, en prétendant avancer « la cause des femmes », introduit un clivage et un désordre orthographique et sémantique là où il n’a jamais existé. Elle abolit le neutre sémantique et déstructure la langue : jamais aucune enseignante n’a pensé être interdite d’accès à la salle des enseignants…ni aucune étudiante revenir bredouille du CROUS à cause du « repas à 1 euros pour tous les étudiants ».
Faire évoluer la langue pour faire évoluer une société est une utopie totalitaire. L’évolution d’une langue commune n’obéit pas aux décisions réglementaires des groupes de pression.