Véronique Tacquin
Voici un vrai militant de l’islamisme, c’est-à-dire des revendications de l’islam politique.
C’est en critiquant le rapport de Hakim El Karoui que François Burgat, doctrinaire du NPA sur les problèmes que pose l’islam en France, se montre particulièrement inquiétant dans ses préconisations, diffusées sur Mediapart. (Je ne tiens pas à défendre H. El Karaoui, la question n’est pas là).
François Burgat commence par nier que la religion, lorsqu’elle revendique un rôle politique, soit nécessairement porteuse d’un « potentiel totalitaire » – ce qui, une fois décodées les astuces de sa formulation, revient à plaider pour une régression au théologico-politique dont tous les pays de culture européenne ont mis trois ou quatre siècles à se débarrasser. Cela fait de F. Burgat un opposant radical non seulement à la laïcité française, mais aussi au régime de sécularité (secularism) qui forme le socle commun et minimal de toutes les démocraties sans exception, puisque par définition, le régime de sécularité exclut toute prétention des religions à faire la loi et à exercer une emprise politique sur les citoyens. Bien entendu, cet opposant rusé aura le front d’affirmer qu’il défend la laïcité, comme le CCIF, comme Tariq Ramadan, comme tous les sophistes de la militance indigéniste qui ont appris le langage de la démocratie, pour trouver les arguments captieux à retourner contre elle. La différence est que F. Burgat est un gauchiste révolutionnaire sans attache religieuse ni raciale à l’islamisme qu’il fait valoir, mais bien décidé à exploiter une faille dans la défense des systèmes démocratiques – en « révolutionnaire » d’une prétendue révolution que je fuirai comme la peste, au service des fous de Dieu dont la démence est désormais avérée par des crimes.
Au service de l’argumentation de François Burgat, il y a l’idée qu’il faut éviter tout amalgame entre le bon et le mauvais en matière d’islam politique, le mauvais étant extrémiste. Un exemple concret permettra de comprendre ce qu’est un modéré en matière d’islam politique, selon F. Burgat: son grand ami Tariq Ramadan est ce qu’il appelle un modéré, puisqu’il en épouse les combats politiques (https://blogs.mediapart.fr/francois-burgat/blog/061117/avec-ou-sans-tariq-ramadan-ses-combats-politiques-demeureront-les-miens). Rien que de logique ici, puisque F. Burgat est un compagnon de route des Frères musulmans (http://mohamedlouizi.eu/2017/12/31/les-jalons-de-francois-burgat-sur-la-route-des-freres/)
Il faudrait donc selon F. Burgat comprendre le « potentiel banalement identitaire » de l’islam, dans une situation héritée de la colonisation, qui n’est après tout que la faute de l’Occident. Ce qui peut bien se passer après la décolonisation dans les pays à majorité musulmane est également la faute de l’Occident, comme si ces pays n’avaient pas d’histoire propre: c’est l’Occident colonisateur et impérialiste qui porte la responsabilité des dictatures. Dès lors (la logique devient moins claire), si nous voulons mieux insérer les musulmans ici même en France, il faudrait intégrer les plus fanatiques dans la « gestion de l’islam de France ». Voilà la proposition de F. Burgat. C’est ainsi qu’on entendrait ces fanatiques dans le débat public, avec la légitimité qui leur serait ainsi conférée: pour répandre la propagande d’un patriarcat abject, contre les libertés individuelles des femmes et des homosexuels, des superstitions délirantes sur la musique et tout ce qui pourrait permettre d’exercer une emprise totalitaire sur la vie privée des individus.
Mais enfin, ce sont des détails que F. Burgat ne donne pas, pas plus qu’il ne réfléchit sur l’effet de légitimation des discours qu’on encouragerait ainsi sur la place publique. La capacité de ce militant à analyser un problème politique se limite manifestement aux bons vieux réflexes trotskistes: chercher à pénétrer les organisations pour y gagner un pouvoir nettement supérieur aux forces des groupuscules, en comptant sur la manœuvre, grande et petite: ici, donner une place aux plus fanatiques dans les organes consultatifs sur l’islam (alors qu’on sait déjà quels dégâts l’UOIF, c’est-à-dire les Frères musulmans, avait réussi à faire grâce à Sarkozy dont ce n’était pourtant pas le but). F.Burgat ne cherche évidemment pas à analyser honnêtement le problème de l’enseignement public de l’arabe qu’il mentionne comme une évidence sans plus de détail, alors qu’il est assez délicat: il s’agit de savoir jusqu’où, comment, par qui on fait enseigner l’arabe dans le secondaire, voire le primaire, ce qui pose un vrai problème pédagogique, un vrai problème social quand on isole des enfants dans la culture de leur différence, un vrai problème d’influence politique des maîtres étrangers, etc: Abdelmalek Sayad, sociologue bourdieusien, avait mis en garde contre plusieurs effets pervers dès la fin des années 70 si ma mémoire est bonne, pour avoir étudié concrètement ce qui se passait dans les classes.
Si donc on veut comprendre jusqu’où va, aujourd’hui, le gauchisme dans la tentative de s’appuyer sur la question explosive de l’islam, c’est chez F. Burgat qu’on en trouve un bel exemple: telle est la pensée « révolutionnaire » à la nouvelle mode.
Le point de vue du psychanalyste qu’est Fehti Benslama est plus sain, mais il inquiète d’une tout autre manière: si, comme F. Benslama le pense, l’effondrement des utopies politiques érode les capacités de sublimation de la haine, et donc libère dans les masses des formes de radicalisation dont le djihadisme n’est pas la seule réalisation à prévoir, la déliquescence de la gauche ouvre la porte à des dangers variés.
Véronique Taquin
http://lejeudetaquin.free.fr
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