Voir le texte du compte rendu intitulé Jean Szlamowicz et Xavier-Laurent Salvador signent un pamphlet antiféministe orné de discours linguistiques — Compte rendu critique par l’association de recherche GSL ici
« C’est moi qui décide qui est Juif » (Karl Lueger)
« Quand j’emploie un mot, dit Humpty Dumpty avec un certain mépris, il signifie ce que je veux qu’il signifie, ni plus ni moins. La question est de savoir, dit Alice, si vous pouvez faire que les mêmes mots signifient tant de choses différentes. La question est de savoir, dit Humpty Dumpty, qui est le maître – c’est tout ».
Lewis Carroll La traversée du miroir
Le lecteur familier des procès faits aux intellectuels ne s’étonnera point du libelle diffamatoire qui se présente comme un compte rendu collectif « scientifique » de l’association GSL de l’ouvrage « non-scientifique », lui, des amateurs-linguistes « ultra-conservateurs » qui frôlent « l’antiféminisme raciste et différencialiste » et qui manifestent leur « misogynie ». Il s’agit d’un compte rendu de l’ouvrage de Jean Szlamowicz et de Xavier-Laurent Le sexe et la langue suivi d’Archéologie et étymologie du genre, paru aux éditions Intervalles en 2018. L’intitulé du compte rendu qui émane d’un collectif à ambition « scientifique », donne le ton du texte: Jean Szlamowicz et Xavier-Laurent Salvador signent un pamphlet antiféministe orné de discours linguistiques.
On pourrait s’étonner de l’attention des « scientifiques », portée au pamphlet, ne serait-ce plutôt aux journalistes ou aux politiciens de s’y intéresser? Le pamphlet est un genre du discours en général court qui attaque un adversaire, une institution, un régime, une idéologie sous une forme polémique et satirique. Ce sont souvent des textes qui contiennent de la violence verbale et qui sont en général, polémiques. Or, même si l’ouvrage de Szlamowicz et Salvador n’est pas sans ironie à l’égard des propositions des réformistes inclusivistes, et s’inscrit dans la controverse autour du sujet, leur texte est fondé sur la démonstration du fonctionnement de la langue qui s’inscrit dans les enseignements fondamentaux de Ferdinand de Saussure et d’Emile Benveniste, d’Antoine Culiloi et de Pierre Cadiot et Jean-Marie Visetti, qui ne sont pas idéologues, mais des savants -linguistes. Ils sont, par ailleurs, cités dans le texte de l’essai. Mais les théories et la méthodologie de ces auteurs doivent être trop conservatrices pour la très progressiste association GSL dont les auteurs (en fait l’auteur collectif, car le texte est signé « association ») écrivent:
« Ensuite, la méthodologie bancale qui aboutit à un simulacre de recherche scientifique. Enfin, l’absence quasi totale de corpus, ce qui est sidérant de la part de deux linguistes ».
Quant au corpus, il est précisé à la première page : c’est le manuel de l’écriture inclusive et la nébuleuse des écrits « inclusivistes » auxquels les auteurs font référence dans le texte.
Szlamowicz et Salvador considèrent la langue comme système abstrait de signes qui ne peut être ni idéologique, ni politique, ni militant. C’est clair, selon les auteurs de GSL, avec de tels vues anachroniques, on ne peut pas faire de la science aujourd’hui. Citons ici l’extrait de leur livre qui situe le positionnement disciplinaire des auteurs et permet à tout linguiste qui connaît les classiques (des sciences du langage) de reconnaître le « cadre ».
« La langue est un outil de la pensée, elle n’en est pas le contenu. Penser consiste à utiliser la langue, laquelle ne tient aucun propos par elle-même. Plutôt que d’envisager la langue comme une instance de préjugés moraux déjà figés dans la grammaire, il faut davantage la voir comme un « organe-obstacle », pour reprendre le terme de V. Jankelevitch[1] , c’est-à-dire, à la fois un moyen et une contrainte. Par sa structure, la langue permet et, simultanément, elle astreint : la pensée repose sur cette dynamique consistant à utiliser les signes existants et à se les approprier dans l’acte de parole. La langue ne pense pas à notre place. Le discours, en revanche, est la mise en acte de raisonnements, de conceptions, d’idées par des individus précis au moyen de la langue. La langue ne cesse d’évoluer –c’est une réalité, ni négative, ni positive –et on ne voit pas pourquoi la question du genre échapperait à cet état de fait, lequel ne provient pas d’un combat entre de méchants mâles assoiffés de privilèges grammaticaux et des femelles affligées d’une pénurie de suffixes personnalisés. Il faut admettre la contingence des désignations et des fonctionnements grammaticaux. Comme le rappelle le linguiste John McWhorter « la plupart des mécanismes d’une langue sont dus au hasard, pas à la nécessité » (pp. 45-46)
Il faut être très déterminé pour trouver dans cet exposé du positionnement linguistique de la misogynie et de l’antiféminisme. Les critiques sévères ont dû passer trop vite sur le livre, car on a du mal à croire qu’ils n’ont pas reconnu les enseignements du structuralisme (même si certains parmi les auteurs sont sociolinguistes et récusent l’existence de la langue saussurienne, ils ne peuvent pas ne pas reconnaître le « cadre » dans lequel se situent les auteurs) et qu’on leur reproche de ne pas avoir. Au risque de paraître grossière face aux collègues qui ont lu trop vite -ou peut-être pas du tout ce livre, je cite ici quelques extraits significatifs :
« La langue est une virtualité, un système de structures et de possibilités qui n’existent nulle part concrètement. Ce dont il est question quand on parle « d’influence de la langue », c’est du discours, c’est-à-dire, la manipulation de la langue. La langue en elle-même est inerte. Sur le plan politique, c’est le contenu d’une parole et sa force de conviction qui exercent une influence sociale, pas la langue en tant que structure. On conviendra que « Les femmes doivent rester à la cuisine » est une phrase machiste et pourtant, elle n’a aucunement recours à des formes que des féministes considéreraient comme discriminantes ». (p.23)
De même, tout le chapitre 2 du livre est fondé sur le rappel de la pensée benvenistienne sur la « personne ». Il est impossible de supposer que les auteurs du compte rendu ne l’aient pas compris, car certains parmi eux enseignent les théories d’énonciation fondées sur l’œuvre de Benveniste au sein de mon département.
Et cela, sans parler de l’inscription directe dans les enseignements d’E. Benveniste qui n’ont pas été encore jetés aux oubliettes, du moins par la plupart des linguistes français. Le passage cité est une allusion à l’article «Structure de la langue et structure de la société ». (Benveniste 1974 :94 )
« Ce que les hommes voient changer ce qu’ils peuvent changer, ce qu’effectivement ils changent à travers l’histoire, ce sont les institutions, parfois la forme entière d’une société particulière, mais non, jamais, le principe de la société qui est le support et la condition de la vie collective et individuelle. De même ce qui change dans la langue, ce que les hommes peuvent changer, ce sont les désignations, qui se multiplient, qui se remplacent et qui sont toujours conscientes, mais jamais le système fondamental de la langue ».
Mais, comme Benveniste( pas plus que Culioli, Cadiot ou Visetti ) ne s’occupait de féminisme, et même qu’il a montré bien avant les débats actuels que le genre était une catégorie formelle arbitraire tant pour l’humain que pour du non-humain, il ne doit pas trouver grâce aux yeux des associatifs. Pour Benveniste, ce sont les caractères sémantiques et les modalités conceptuelles qui déterminent, sans relation avec le sexe, la catégorie du genre aussi bien dans les mots abstraits que dans les mots animés, ce qu’il montre en comparant les langues africaines, caucasiennes et paléo-sibériennes[2]. On voit bien que les attaques de très mauvaise foi contre Szlamowicz et Salvadors cachent l’atteinte au fondement de la discipline linguistique même.
Le début de l’acte accusatoire commence avec l’imputation aux auteurs de la méconnaissance des champs de recherches féministes.
« Tout d’abord, l’étendue de la méconnaissance du champ des recherches linguistiques sur le genre (et des recherches féministes tout court) par les auteurs : on aurait pu s’attendre à ce que les références classiques du champ soient discutées, alors que celles-ci ne sont souvent même pas mentionnées » et plus loin
« Aucune allusion n’est faite aux nombreux combats féministes en cours en France, puisque, comme ils l’expliquent sur tous les tons, il n’y aurait précisément plus besoin de tels combats. […] L’avis des militant·es féministes sur le sujet n’est ni cité ni même envisagé, et il est évident que ces catégories ad hoc ne servent qu’à répondre à l’objectif politique de décrédibiliser tout courant féministe. L’auteur fait fi de dizaines d’années de publications, débats, engagements et ne semble pas avoir connaissance du féminisme matérialiste, différentialiste, intersectionnel ou queer, etc. mais cela ne l’empêche pas de traiter d’une manière étonnamment péremptoire des sujets extrêmement complexes ».
Mais c’est ne rien comprendre au but de leur travail, ou être d’emblée de mauvaise foi (ou les deux), que d’imputer aux auteurs « l’étendue de la méconnaissance du champ de recherches linguistiques sur le genre (et des recherches féministes tout court) ». L’ouvrage ne porte pas sur les théories féministes, ni sur leur critique, c’est un ouvrage linguistique, qui porte sur la langue et le discours. On pourrait presque croire que les auteurs (ou les autrices) n’ont pas vraiment lu l’ouvrage qu’ils prétendent critiquer et qu’en réalité, ils se contentent de diffamer. Quant aux « non-citations » des auteurs qui ont travaillé sur le genre, comment se fait-il que les lecteurs de GSL n’aient pas vu les références aux articles de linguistes de Violi, P. (p. 36, 52), aux ouvrages de Yaguello, M. (p. 49, 86, 88, 89), Burr, E. (109), Michel, L. (p.112, 116), Elmiger, D. (p.116) ou psychologues Brauer, M. et Landry, M. (p.33)? Mensonges des fabricants de faux procès ou fautes d’inattention? Quant aux classiques de la linguistique, il me faudra citer presque toutes les pages du livre qui abonde de références (mais, il faut croire que les classiques pour les générations de linguistes ne le sont pas pour nos critiques progressistes). Le texte étonne par l’abondance de prédicats à tenue péjorative et désignant les personnes et les analyses tout confondu : « naïfs » (cet adjectif est distribué à tour de bras dans le texte du CR), « manque de rigueur », « étude des représentations imaginaires », « idées anachroniques », « ultra-conservateurs », « affirmations fantaisistes », « arguments d’autorité ». Aucun de ces prédicats, témoignant de la grande rigueur et de la scientificité progressiste de nouveaux prescriptivistes n’est étayé par les citations concrètes pour prouver leur incriminations. Il est assez cocasse de voir que les auteurs reprochent à Szlamowicz et Salvador d’être « militants », (alors que ces deux auteurs exercent leur critique à l’égard de la doctrine inclusiviste, mais ne militent pour aucune cause) et « non-scientifiques » et en même temps leur reprochent de ne pas citer l’avis des militantes féministes, qui sont, cela va sans dire le parangon même de la science. On n’est pas à une contradiction près lorsque l’on veut disqualifier les contradicteurs.
Vous avez dit « scientifique » ?
Dans un grand nombre de textes écrits par certains auteurs du compte rendu GSL, le terme « scientifique » est brandi comme un étendard de vérité. Mais en les lisant, on se pose des questions sur le sens et surtout sur la référence de ce mot, qui semble prendre une valeur inédite dans leurs écrits. La démarche du linguiste consiste à observer et à décrire, à émettre des hypothèses et à les vérifier, à utiliser le savoir préalable pour produire du savoir nouveau ou l’utiliser pour critiquer ce qui n’est pas un savoir. Lorsqu’on observe les fonctionnements de la langue, on constate, par exemple, que telle forme linguistique est en train de n’être plus utilisée ou que telle autre s’est grammaticalisée et l’on tente d’en rendre compte du point de vue du fonctionnement de la forme linguistique étudiée tout en repérant les problèmes qu’elle peut poser aux usagers de la langue. Tous les raisonnements du livre sont fondés sur la discussion des exemples concrets dont la plupart sont tirés des ouvrages qu’ils critiquent. Par ailleurs, la critique des théories ou des modèles linguistiques fait partie de la démarche scientifique. Il est très gênant de voir les accusations des chercheurs reconnus par l’institution universitaire qui ne soient pas argumentées ni étayées par des preuves concrètes de la « naïveté » ou de la « non-scientificité » de Szlamowicz et Salvador. On ne comprend pas ce qu’on leur reproche du point de vue de la discipline linguistique. Outre le ressentiment des auteurs GSL liés à la frustration de ne pas trouver des références aux « militant.es féministes » qui n’ont rien à faire dans un essai de linguistique, il n’y a rien dans leur texte sinon les adjectifs subjectifs négatifs dont la fonction est de disqualifier les personnes et pas les arguments. En revanche, ce qu’on voit bien dans ce texte, c’est l’argument de rétorsion, ce dont les auteurs de ce texte se font spécialistes. La rétorsion consiste à utiliser le discours de l’adversaire pour le tourner contre lui : le linguiste qui montre la naïveté des raisonnements militants est accusé de la naïveté par une phrase sortie de son contexte et en escamotant la discussion :
« Le militantisme de l’égalité des genres a donc pour effet de remotiver ce qui était devenu arbitraire en faisant semblant de croire à la pertinence sexuelle d’éléments sans importances. En prenant la langue au pied de la lettre, on fait comme si les locuteurs croyaient vraiment que la grenouille est la femme du crapaud et le hibou le mari de la chouette. Or la langue ne fonctionne pas selon une croyance représentationnelle ».
Ce que dit ici l’auteur et ce que les critiques ne comprennent pas, obnubilés par leur indignation, c’est qu’est naïve la théorie selon laquelle les principes de la langue soient liés au manichéisme du sexe qui ferait de grenouille le féminin de crapaud. C’est sur cette naïveté qu’ironise Szlamowicz. La naïveté, assaisonnée de mauvaise foi, n’est pas là où les auteurs veulent la placer.
Le ton prescriptif ?
Les auteurs du livre auraient un ton prescriptif. “Le discours prescriptif que délivre l’ouvrage, pour donner des leçons à celles et ceux qui utiliseraient mal leur langue, se situe à des années-lumière de la démarche linguistique et provoque un certain malaise”.
Ce postulat est un parfait exemple de la malhonnêteté intellectuelle des rédacteurs. Une des rédactrices de ce compte rendu diffamatoire est aussi auteure du livre Le français est à nous ! Petit manuel d’émancipation linguistique. Or, ce manuel regorge de remarques prescriptives que peuvent envier toutes les grammaires qu’elle dénonce :
« Pourquoi continuer alors à prôner « chez le coiffeur » ? Le maintien de cet usage archaïque est surtout un abus de langage. Sa seule utilité est symbolique et sociale : qu’il s’agisse de faire preuve ou non de respect envers les personnes désignée (chez le coiffeur ; aux putes), ou se distinguer en tant que locuteur. Là où la logique linguistique voudrait qu’on favorise l’emploi de « chez » pour désigner uniquement les domiciles, la logique sociale de la recherche de la distinction, même lorsqu’elle se fonde sur une règle tout à fait arbitraire linguistiquement, a bloqué cette tendance et a inventé une exception » (p.59)
Ce passage, au demeurant, étrange, pour une linguiste qui se réclame des connaissances « scientifiques » et attribue aux prépositions les qualités caractérisant les locuteurs (être porteurs de respect ou d’irrespect) déclare que l’usage standard est un abus de langage et un anachronisme. Quel est le corpus sur lequel elle se fonde pour faire cette « observation »? En fait, la linguiste distribue des bons et des mauvais points aux usages de la langue, de la même manière qu’elle préconise certains formes linguistiques plutôt que d’autres. Dans ce livre, on trouvera beaucoup d’autres prescriptions sur la manière de penser, de représenter les choses et le monde, la langue et la société.
On ne trouve aucun postulat prescriptif dans le livre de Szlamowicz et Salvador. S’il y en avait, les critiques l’auraient certainement cité. En aucune page du livre n’apparaît la modalité déontique concernant l’usage ou les usages. Mais peut-être, le sens du mot « prescriptif » n’est-il pas le même pour tous les usagers. Après tout, à l’ère des variations individuelles, chacun se croit Humpty Dumpty.
Occultation et reductio ad hitlerum
Un autre “argument” qui laisse rêveur lorsque l’on critique un travail de paires, c’est sa réduction ad hitlerum. L’association des critiques cite les publications de Szlamowicz dans les médias, notamment dans Le Figaro qui a interviewé l’auteur qui y expose sa position sur la féminisation des noms de métiers. L’indignation porte à la fois sur le fait que l’article ait été publié dans une presse qui ne trouve pas grâce aux yeux des critiques qui se positionnent à gauche sur l’échiquier politique et considèrent donc que c’est la seule position acceptable pour un être humain, mais aussi sur le contenu « scandaleux ». La phrase qui provoque l’ire des «savants » est
« On confond aussi la féminisation des métiers, qui est l’affaire de la société, et celle de la langue qui n’en est que le reflet : « plombier » n’est masculin que dans la mesure où le métier est majoritairement masculin. Quand les « plombières » seront légions, le mot sera courant ».
S’ensuit un paragraphe qui accuse Szlamowicz d’être de mauvaise foi. Ce n’est pas sur le contenu de la phrase que porte la critique. En effet, Szlamowicz ne fait que constater le fait que d’abord les femmes ont accédé aux métiers qui naguère n’étaient destinés qu’aux hommes. Avocate, ingénieure, chirurgienne apparaissent en langue après l’accès à ces métiers des femmes. Rien d’insultant ni de contrefactuel jusqu’ici, en tout cas pour la plupart des usagers. Mais les critiques retordent ce constat de Szlamowicz en accusant l’Académie française de vouloir désigner par « pharmacienne » la femme du pharmacien. On voit mal le rapport avec ce qu’a dit Szlamowicz (il n’est pas académicien). Identification de tous les ennemis dans la grande figure du Big Brother nommé « Académie »? De surcroît, l’argument ad hominem qui consiste à dire que Szlamowicz n’a pas le niveau de licence parce qu’il considère la langue comme « reflet de la réalité » est un procès qui met en doute l’honnêteté des critiques qui semblent vraiment ne pas avoir lu le livre qu’ils critiquent :
« Les milliers de langues dans le monde présentent des nuances structurelles d’une incroyable diversité. La tentation est grande d’y voir autant de « vision du monde », chacun se bornant à penser selon les limites de son idiome. Sauf que la métaphore visuelle à la source de la « vision du monde » n’a pas forcément beaucoup de sens, car elle semble désigner à peu près n’importe quoi, depuis des modes de perception cognitifs jusqu’aux références culturelles. On peut en effet démontrer beaucoup de choses à partir des données linguistiques ; sauf qu’une interprétation ne fait pas une réalité. »
Et plus loin « Le réel n’existe que dans les cadres linguistiques spécifiques. Il ne s’ensuit pas que ces cadres conditionnent notre pensée et notre activité sociale. De la même manière que l’existence du temps est une donnée ontologique pour l’homme que chaque système linguistique organise différemment, la différence des sexes possède un caractère universel qui trouve à se configurer différemment dans chaque langue » (p.28)
Soit les auteurs du compte rendu n’ont pas lu livre, soit ils n’ont pas compris la position strictement linguistique de l’auteur. Les deux cas sont inadmissibles pour les chercheurs qui déclarent être « scientifiques », cependant, le deuxième aurait été pardonnable aux étudiants de première année de licence.
Mais ce n’est pas tout. Les auteurs chercheurs friands des classements politiques, «oublient » de citer les publications de ce même auteur ( qui, ô horreur, publie dans l’ impertinent et non-consensuel Causeur) dans le très respectable journal de gauche Le Monde sur le sujet qui est au cœur du livre. En effet, Szlamowicz publie une tribune avec deux co-auteures (une linguiste, une psychanalyste) au sujet de l’écriture inclusive en juillet 2019. Pourquoi passer sous silence ce qui n’arrange pas l’argumentation des auteurs qui veulent absolument insister sur l’ethos des méchants ultra-conservateurs de droite et reprocher à Szlamowicz et Salvador de « glaner des idées selon les besoins de l’argumentation ». L’argument est facilement retournable, on a vu comment les citations sont extraites de leurs contextes et comment procèdent les auteurs GSL.
L’antiféminisme raciste et différencialiste
Dès le début de leur compte rendu, les auteurs déclarent qu’il s’agit « d’un pamphlet antiféministe ». Plus loin, JS et XLS sont accusés d’être misogynes. Le mot revient souvent et traverse tout le texte. C’est une grande obsessions des néo-féministes en général, elles voient la misogynie partout où elles voient un homme. (Lorsqu’elles parlent de « femmes », on a l’impression qu’elles parlent d’une catégorie abstraite, sacrée, martyrisée, insultée, bref, auréolée de souffrance millénaire infligée par les méchants mâles). Si on veut comprendre sur quoi est fondée cette accusation de misogynie, on restera sur sa faim jusqu’au bout de la lecture du CR. Aucune citation, aucun argument à l’appui de ce constat. Ce qui nous a fait penser à la citation de Karl Lueger au début du texte : « C’est moi qui décide qui est Juif» et peu importe la réalité.
En quoi pourrait consister la position antiféministe?
On peut, en effet, accuser d’aucuns d’antiféminisme. Mais de quoi, de facto, s’agit-il?
Les auteurs proposent-ils de voter l’annulation de la loi sur l’égalité des hommes et des femmes ?
Les auteurs appellent-ils à exclure les femmes des positions sociales acquises grâce au combat féministe ?
Les auteurs ont-ils écrit un pamphlet contre les femmes en tant qu’espèce humaine ?
Les auteurs ont-ils appelé à l’inégalité des salaires des hommes et des femmes ?
Non, rien de tout cela, les auteurs ont dit que la langue n’était pas sexiste, comme elle n’est ni machiste, ni fasciste ni antisémite ni homophobe ni misogyne. Les féministes devraient s’en réjouir, car c’est vraiment une bonne nouvelle, qui plus est, fondée sur une démonstration tout au long du livre. Quant aux mots distribués à tour de bras : « antiféministes », « misogynes » et plus loin « racistes », on assiste ici à un phénomène bien connu par les philosophes. Peter Sloterdijk a bien montré que selon l’extrême gauche il existe trois monstres cachés dans l’inconscient des individus : fasciste, judéophobe et antiféministe. Ces catégories de personnes existent vraiment, mais les rédacteurs de LGS en voient partout. Les deux auteurs peuvent difficilement être accusés de judéophobie, en revanche, étant mâles, ils sont suspects de garder des ressentiments contre les femmes. Il faut croire que selon les auteurs du CR, lorsque les auteurs dédient leur livre « aux féministes aux vrai(e)s, c’est qu’ils cachent leur monstruosité antiféministe. Cela leur met « la puce à l’oreille », car il s’agit non seulement d’hommes (de mâles), mais des hommes en voie de droitisation infinie. La preuve, JS publie dans Causeur qui doit être pour les «critiques » une sorte de Mein Kampf français, car ce journal est critique par rapport à la doxa ambiante.
La réduction récurrente d’un mot à un instrument de blâme, le suremploi polémique fait d’un terme une étiquette de disqualification qui ne nécessite pas d’autres arguments que ceux qui sont exprimés par le mot. Le mot « misogyne », à l’instar de « raciste » fonctionne sur le mode de stigmatisation, il est devenu un étendard et parfois une arme de disqualification immédiate à l’ère où la vision morale et l’obligation d’avoir de nobles sentiments à l’égard de son prochain remplacent la raison politique. Le « misogyne » est selon le CNRTL
[En parlant habituellement d’un homme] (Personne) qui a une hostilité manifeste ou du mépris pour les femmes, pour le sexe féminin
On aimerait bien voir où dans le texte de leur livre, les auteurs expriment les opinions misogynes. C’est Xavier-Laurent Salvador, l’auteur de la deuxième partie, qui est particulièrement visé par cette étiquette diffamante. Son texte propose une discussion importante sur les rapports du nombre et du genre en grammaire, fait un rappel de l’histoire de la grammaire (sans extraire les phrases de leur contexte), rappelle les textes d’intellectuels d’époque, la question du neutre en français et rappelle notamment
« Poser dans la grammaire des assertions éthiques, c’est transposer en langue une idéologie politique qui, en occurrence, trouve sa source dans une certaine vision de l’histoire, de la violence, et du rôle que jouent les institutions sociales comme la grammaire dans l’encadrement des masses au service de l’appareil d’Etat ». (p.163)
Serait-ce là la misogynie de l’homme ? On a beau scruter et re-scruter son texte, aucune insulte ou hostilité n’y est manifeste. Et quand bien même, Salvador n’aimait pas les femmes ou qu’il les aimât trop (ce qui est aussi suspect pour ces gardiens de l’amour obligatoire), quelle place ont les conjectures personnelles des auteurs sur les sentiments de Salvador et ses rapports avec les femmes ou les hommes dans un texte qui prétend être fondé sur l’analyse critique et scientifique ?
Sans avoir le moindre argument qui montrerait la monstruosité antiféministe des auteurs, on doit supposer que les accusateurs inventent une injustice pour la réparer. Tout le texte de l’accusation étonne par la projection tournée vers les hommes. J’ai déjà dit que des femmes linguistes (humiliant quand-même de convoquer le sexe des chercheurs.eus.s!) sont aussi critiques à l’égard de l’écriture inclusive sans pour autant être blâmées et appelées antiféministes ou misogynes. Ne s’agirait-il pas ici d’un retournement d’affect ? La misandrie sous couvert de lutte contre l’antiféminisme ? Sinon, pourquoi épargner les consoeurs qui ont les mêmes positions que Szlamowicz et Salvador? Si on comprend bien le fond de la pensée justicière, les hommes, dans le jargon néo-féministe sont « dominateurs », «oppresseurs », la preuve, le « masculin l’emporte sur le féminin » ! Le féminin relève du genre, catégorie historique et sociale construite sans ancrage dans la biologie, en revanche le masculin renvoie au « sexe », catégorie biologique qui se traduit par des attitudes toujours hostiles aux femmes.
Accusation de racisme
Rappelons que la différence entre la critique et la diffamation est essentiellement l’objectif de ces pratiques. La critique, quand elle prétend être scientifique, est un examen détaillé du travail fourni afin d’établir la vérité. La diffamation est une imputation qui porte atteinte à l’honneur ou à la dignité de la personne. Et la calomnie est carrément une accusation fausse, une attaque à la personne. Cette dernière vient comme la cerise sur le gâteau : l’accusation de racisme. Comme l’antiféminisme n’est pas un crime que les auteurs jugent suffisamment grave, ils poussent leur « analyse » du texte de Szlamowicz et de Salvador jusqu’à les accuser de pensée racistes. Nous ne sommes plus dans une diffamation, mais nous touchons ici une véritable calomnie. Celle qui vaut aujourd’hui des procès qui n’en arrêtent pas. En effet, un nombre d’intellectuels, qui n’a pas trouvé grâce aux aspirants au pouvoir institutionnel : Pascal Bruckner, Georges Bensoussan, Isabelle Kersimon, Henri Peña-Ruiz ont été désignés comme les sorcières racistes du XXI siècle. A la base toujours le même argument : l’argument de rétorsion. Voici ce que disent les auteurs de ce brûlot :
« le féminisme » dont les deux auteurs se revendiquent ressemble en tous points à de l’antiféminisme, notamment à de l’antiféminisme raciste et différencialiste. »
Sur quoi est basée cette accusation ? Sur la référence à l’article d’une certaine Virginie Julliard publié dans les Cahiers du genre (https://www-cairn-info.ezproxy.univ-paris3.fr/revue-cahiers-du-genre-2018-2-page-17.htm#) qui explique que les discours antiféministes sont sous-tendus par l’idéologie raciste dont elle analyse les ressorts émotionnels sur tweeter. En substance, l’article s’évertue à faire mine de démontrer que ceux qui s’opposent à l’enseignement de la théorie du genre sont sexistes d’une part et racistes d’une autre, car leur critique de la ministre Najat Vallaut- Belkacem, qui voulait introduire cette théorie à l’école est au fond, raciste (sic !)
« Dans la mesure où toute personne racisée est totalement ramenée à son appartenance ethno-raciale, tout en étant perçue comme incapable de se dégager de cette appartenance, il est présumé qu’elle promeuve les intérêts particuliers de son groupe auquel elle est renvoyée (contre ceux du groupe de référence) et qu’elle bouleverse la hiérarchie des valeurs instituées (au profit de celles de son groupe). C’est du moins ce qui sous-tend les réactions particulièrement vives qui accueillent certains contenus pédagogiques abusivement attribués à Najat Vallaud-Belkacem. »
L’article cité ici a une fonction, celle d’étayer la thèse des auteurs : Szlamowicz et Salvador sont racistes. Ils sont antiféministes, parce que ce sont les auteurs de l’Association de recherche sur le Genre qui l’ont déclaré, et ce sont ces-mêmes auteurs qui ont décidé du sens du mot, comme Humpty Dumpty cité en exergue. Mais pour que leur fantasme devienne encore plus fondé, ils convoquent une consoeur qui offre sur le plateau une théorie générale de victimisation et de bourrélisation qui désigne la figure du Ma(â)l(e) absolu à combattre: misogyne, raciste, ultra-conservateur. Ce sont les mots-écrans qui interdisent toute analyse, toute pensée rationnelle et chemin faisant, toute honnêteté intellectuelle. Ces mots conditionnent l’esprit et servent à endoctriner les innocents (de la culture de manipulation et d’endoctrinement).
Cette prétention de servir de norme et de garant aux comportements d’une collectivité, celle qui se situe du côté du Bien, de la Justice, de l’Egalité ne va pas sans risque de se transformer en une idéologie dont les catégories de perception du réel préétablies seraient présentées comme seules vraies aux acteurs sociaux. L’un des ressorts de ce discours c’est sa vision victimaire de la réalité sociale, et par conséquent, la construction d’un récit, dominé par les rapports de forces entre les « racistes » et les « misogynes » (les bourreaux) et leurs cibles (les femmes). Le danger de ces configurations discursives réside dans le fait qu’au nom des valeurs universelles (encore que la prétendue universalité du discours antiraciste ait été mise en cause par P.A Taguieff 1984, 1987, 1989, 1997, 2004, 2016) il procède à la disqualification de ceux qui le contestent.
Les accusateurs de Szlamowicz et Salvador ne se rendent pas compte qu’ils empruntent une pente glissante. Si leur but inavoué c’est de chasser les opposants en les disqualifiant par tous les moyens possibles contrairement à toute éthique de débats entre ceux qui ne partagent pas les mêmes idées, par cette accusation, qui peut aujourd’hui mener au tribunal, ils se compromettent juridiquement, car de l’analyse textuelle ils sont passé à la calomnie fondée sur leurs désirs de faire taire ceux qui ne sont pas d’accord avec eux. Derrière l’écran de l’association de recherche qui se présente comme le vigile de la cause des insultées, se cache le désir de punir ceux qui ne croient pas au rôle salvateur des nouvelles théories lyssenkistes qui prospèrent dans le monde des sciences humaines et sociales.
[1] Philosophe français, spécialiste de l’éthique et de la morale.
[2] Lejeune Michel, Bader Françoise, Lazard Gilbert. Émile Benveniste (1902-1976). In: École pratique des hautes études. 4e section, Sciences historiques et philologiques. Annuaire 1977-1978. 1978. pp. 50-77;