antiracisme, Culture, Politiquement Correct

L’appropriation culturelle en noir et blanc

Par Liliane Messika

La poétesse et le président

Considérée comme un phénomène, Amanda Gorman est une jeune poétesse de 22 ans. Inconnue la veille, elle a « volé la vedette à Lady Gaga lors de l’investiture de Joe Biden le 20 janvier dernier[1]. Juste après la chanteuse, sa prestation a consisté à déclamer un long poème, à la gloire de l’unité de l’Amérique ». C’est elle qui a fait sensation. Sa place n’était pas volée : ce qu’elle a récité n’était ni « Nick les States, Nique les States jusqu’à l’agonie / Je brûle les States », ni une profession de foi à base de « Je rentre dans les crèches, je tue des bébés blancs (…), pendez leurs parents, écartelez-les pour passer le temps.[2] » 

Vu de France, le seul qui a laissé les spectateurs indifférents, c’est le 46ème président, élu par défauts. DéfautS. Le pluriel est volontaire : aussi pertinent que Gaston Lagaffe et aussi charismatique que les Pieds Nickelés, Joe Biden a ravi l’Amérique Trumpophobique. Un poème ! Mais c’est la poétesse qui a conquis les cœurs. C’est de bon augure : elle a pour projet de succéder aux trois prochains successeurs de Biden. Pas parce qu’elle veut du temps pour acquérir de l’expérience, mais parce qu’il lui faudra attendre 2036 pour avoir l’âge légal. On le sait, la valeur n’attend pas le nombre des mandats.

Elle a le profil idéal : elle est noire comme Obama, elle peut concourir en tant que femme (avantage capital), elle se définit comme « une fille noire, maigre, descendante d’esclave, élevée par une mère célibataire » et, mieux encore, elle fait partie de la frange B des LGBTQA+, c’est-à-dire qu’elle ne se sent ni mâle ni femelle, quand être blanc, hétéro et bien dans ses Nike est un défaut majeur.

Les attachés de presse des 50 États ont certainement bavé de convoitise devant le lancement de de son premier volume de poèmes. Jalousie justifiée : le livre n’est pas encore sorti qu’il est déjà 14ème sur la liste des best-sellers d’Amazon, dans une catégorie jusqu’ici largement boudée par le grand public.

Rien  ne sert de traduire, il faut noircir à point

Depuis l’investiture de Biden, les éditeurs étrangers piaffent sur les starting blocks de la course aux droits. Les Pays-Bas ont une petite avance… Non : avaient une petite avance.

Traduire des poèmes est certainement l’exercice le plus difficile qui soit et l’éditeur néerlandais avait trouvé l’artiste idéale, aussitôt adoubée par la poétesse : Marieke Lucas Rijneveld avait reçu, en 2020, le prestigieux International Booker Prize pour son premier roman : The Discomfort of Evening.

De plus, elle porte bien ses prénoms féminin et masculin puisqu’elle partage avec Gorman le privilège fashionistissime d’hésiter sur son identité sexuelle. Elle doit porter un chausson rose au pied droit et un chausson bleu à gauche (where else ?)

Marieke Lucas Rijneveld ne sait peut-être pas si elle est née dans une rose ou dans un chou, mais elle a ce qu’il faut entre les oreilles pour traduire une poétesse américaine. On espérait aussi qu’elle avait la tête près du bonnet, mais hélas son bonnet était posé sur des cheveux blonds. Aaargh ! Une blonde ! Las, l’opprobre qui frappait les blondes est démodé et on ne peut plus en arguer pour obtenir sa carte de priorité victimaire dans le métro.

La preuve que la non binarité sexuelle ne compense pas une peau blanche sur l’échelle de la victimitude indispensable pour être éditorialement correcte, c’est que, bien qu’auteur et traductrice se soient mutuellement cooptées, Rijneveld a renoncé à traduire Gorman, sous la pression de la Black Connection.

Dans la famille appropriation, une activiste a gagné le pompon 

Elle a réussi à provoquer un scandale international en s’indignant que la poétesse noire fût traduite par une écrivaine blanche.

Si Amanda Gorman avait proposé de traduire en anglais les œuvres de Marieke Lucas Rijneveld, nul doute que le Landernau du néo-racisme made in USA eût poussé des oh et des ah d’admiration. Dans l’autre sens, c’est de l’appropriation culturelle. Un Noir peut ressentir les émotions d’un Blanc, parce que les Noirs sont dotés d’une sensibilité arachnéenne, alors que les blancs sont des primates. C’est Yusra Khogali qui l’a dit : « Nous sommes les premiers et les plus forts de tous les humains et notre génétique est la base de toute l’humanité.[3]»

Qui sommes-nous, nous autres non noirs, pour marquer un désaccord avec la co-fondatrice de la section de Toronto de Black Lives Matter ? D’autant qu’elle respecte suffisamment ses ennemis pour résister à l’envie de les tuer : « S’il te plaît Allah, donne-moi la force de ne pas tuer ces Blancs…[4]», tweetait-elle le 9 février 2016.

Dans ce contexte, comment un encéphale blanc aurait-il l’outrecuidance de se croire compétent pour décoder toute une symphonie d’émotions noires ?

I have a dream

Qui a traduit en français le discours de Martin Luther King, dans lequel il a dit, en 1963, « Je fais le rêve que mes quatre petits-enfants vivront un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés en fonction de la couleur de leur peau, mais de leur personnalité[5] » ? Le traducteur l’a-t-il transposé avec sa couleur de peau ou avec son talent ?

L’auteur française Marie Ndiaye a été traduite en anglais par Jordan Stump, récipiendaire du National Book Award for Translated Literature et du prix de traduction PEN, mais blanc. Quant au Goncourt de l’auteure noire, c’est John Fletcher qui a fourni la version anglaise et, si l’on en juge par le succès du livre, sa couleur blanche ne l’a pas empêché de saisir l’essence du texte.

Mais Marie Ndiaye a eu le Goncourt en 2009. Black Lives Matter a vu le jour (ou plutôt la nuit) en 2013. L’année du Goncourt, l’obsession de la race n’avait pas encore saisi la bien-pensance et les racistes avaient honte. Aujourd’hui ils sont le nec plus ultra de la pensée dominante. Dominant les Blancs : ce qui va sans dire va encore mieux en le murmurant.

Marieke Lucas Rijneveld a fait un cauchemar

Comment les éditeurs japonais de l’œuvre de Gorman choisiront-ils le traducteur ? Y a-t-il suffisamment de Japonaises noires et sexuellement non binaires pour que l’une d’entre elles soit habilitée à traduire la poésie à laquelle Marieke Lucas Rijneveld a renoncé ?

Le pasteur Martin Luther King est mort, paix à son âme : sur la terre, c’est la guerre. Guerre des races, des sexes, des religions. La ségrégation a été vaincue aux États-Unis : quel symbole de cette défaite pourrait égaler l’élection d’un Noir à la Maison Blanche ?

La ségrégation littéraire qui a frappé la traductrice néerlandaise est le dernier avatar de la guerre menée par les militants de BLM pour imposer un strict apartheid sur la planète.

Une talentueuse Canadienne, Sophie Durocher, qui se décrit comme « blanche comme une aspirine », s’en est indignée avec dignité, en traduisant un vers de Gorman :

« If we’re to live up to our own time, then victory won’t lie in the blade.

But in all the bridges we’ve made ».

« Si nous voulons être à la hauteur de notre propre époque, la victoire ne passera pas par l’épée.

Mais par tous les ponts que nous avons construits. [6] »

Et de se demander si cette controverse construit des ponts…

Construire des ponts ou des barrières ?

Les néo-racistes devraient aller au bout de leur déraisonnement : seule Amanda Gorman devrait être capable de traduire Amanda Gorman. Il faut donc ne la lire que dans la langue dans laquelle elle écrit. Et puis il vaut mieux qu’elle lise elle-même à voix haute ses textes. Après tout, il n’y a que sa propre voix qui permettra de rendre l’intensité de ses écrits. De plus, seule sa voix directe, sans l’intermédiaire trompeur des micros et des outils de reproduction auditifs, les rendra dans leur plénitude.

Les néo-racistes devraient profiter de l’impunité que leur procure l’actuelle sidération dans laquelle ils ont plongé les cerveaux (de quelque couleur qu’ils soient), pour interdire d’imprimer les livres de la poétesse noire, interdire de les traduire, interdire d’en faire des enregistrements, au nom de la pureté de la race qu’ils réclament si vigoureusement.

D’ici quelques décennies, ils atteindront le degré d’inculture que le PNUD (Programme de l’ONU pour le développement) déplorait, en 2003 dans le monde arabe : « le total des livres traduits de l’époque d’Al-Ma’mûn à aujourd’hui s’élève à 10 000 – l’équivalent de ce que l’Espagne traduit en un an.[7]» 

Comme disent les Américains, “Be careful what you wish for, you may just get it” : Attention à ce que vous souhaitez, vous pourriez bien l’obtenir !


[1] https://rmc.bfmtv.com/emission/qui-est-amanda-gorman-nouvelle-star-mondiale-de-la-poesie-2036736.html

[2] Photographié à l’Élysée, entre Emmanuel et Brigitte Macron, l’inoubliable Nick Conrad est l’auteur d’un clip devenu un succès du rap, intitulé Pendez les Blancs. https://skanderbergblog.files.wordpress.com/2019/05/macron-conrad-1.jpg

[3] https://mabatim.info/2020/07/19/black-lives-matter-sa-caisse-noire-et-ses-militants-pas-clairs/

[4] https://twitter.com/ivarpi/status/1281298352064335873

[5] https://youtu.be/XJ6mXKpiVs8?t=7

[6] https://www.journaldemontreal.com/2021/03/03/vous-etes-trop-blanc

[7] https://digitallibrary.un.org/record/511623?ln=fr

6 réflexions au sujet de “L’appropriation culturelle en noir et blanc”

    1. Mais quelle question! Où avez vu marqué « interdit à… »?
      L’écriture n’est pas identitariste, la lecture non plus. Beaucoup de sujets abordés ici ne peuvent pas être abordées dans l’espace médiatique ou académique. Les questions philosophiques, linguistiques et religieuses que nous essayons d’aborder ici ne « passent » pas ailleurs, sont censurés (d’où la publication des articles censurés sur ce blog). Surtout les questions qui portent sur l’antisionisme officiel, médiatique et académique. Tous les lecteurs, tous les contributeurs, tous les commentaires sont les bienvenus.

      J’aime

    1. C’est le problème de connivence, j’ai d’abord pensé à ça, car vous nous suivez depuis un moment, mais va donc savoir avec toutes les âneries de sensitive readers, safe space et autre victimes des minorités. L’ère du soupçon est belle et bien là;)

      J’aime

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