mythologies contemporaines, propagande, propagande médiatique

Sur certains aspects de la propagande

Entretien avec Kevin Badeau, publié par Le Point https://www.lepoint.fr/debats/le-discours-propagandiste-de-poutine-est-ennuyeux-30-03-2023-2514302_2.php

  1. Vous venez de publier un livre sur les discours propagandistes. Qu’est-ce que la propagande ?

La propagande est un ensemble de pratiques (discursives, picturales, cinématographiques, musicales…) qui cherchent à propager certaines idées, opinions, ou représentations en incitant à y adhérer sans partage. Ces pratiques sont très diverses, mais elles visent les mêmes objectifs : homogénéiser les opinions, faire croire qu’il n’y a pas d’autre alternative que celle proposée par le discours propagandiste. En témoignent bien les slogans ou les prêt-à-croire qui relèvent toujours du discours idéologique à diffuser. Parlant de la propagande contemporaine, pendant la campagne de vaccination, on pouvait entendre « Pas de vaccin = pas de protection » ou « Passe sanitaire – premier pas en enfer ». La propagande est étroitement liée à l’idéologie. Si l’idéologie est un système de vues et d’idées qui expriment les intérêts de différents groupes sociaux, la propagande est un système de diffusion de l’idéologie. Dans la société démocratique plusieurs idéologies peuvent coexister et chercher à s’imposer. Par exemple, l’écologisme comme idéologie (et non pas l’écologie comme science) ne serait ni visible ni audible, ni vectrice d’influence sans un puissant discours propagandiste qu’on trouve sur les réseaux sociaux, dans les médias, dans le discours politique, dans les marches pour « sauver la planète », les images de Greta Tunberg, etc.

Mais attention ! Tous les discours qui préconisent des actions pour améliorer la société ne sont pas propagandistes. Montrer en quoi l’égalité entre les hommes et les femmes relève du fonctionnement normal de la société démocratique n’est pas de la propagande. En revanche, déclarer que tous les hommes sont porteurs de violences potentielles l’est.

Comment construit-on un bon discours propagandiste ?

L’analyste n’est pas toujours bien placé pour donner des recettes, comme le dégustateur n’est pas toujours un bon cuisinier. Tout dépend des circonstances : le discours propagandiste par temps de guerre n’utilisera pas les mêmes procédés que le discours publicitaire qui a besoin de vendre des boissons alcoolisés. Il faut également tenir compte du support, du but recherché, du domaine de la propagande et des effets escomptés. Par ailleurs, ces discours sont conditionnés par le contexte socio-historique et les valeurs collectives dominantes qu’il faut maîtriser. Voici quelques ingrédients : une très bonne connaissance du langage, la maîtrise de l’idéologie qu’on veut diffuser, une idée claire du public auquel on s’adresse (ses références, ses goûts, son niveau culturel, ses croyances, ses valeurs positives et ses valeurs négatives), un bon dosage des arguments rationnels et émotionnels, la connaissance et usage actif des procédés indispensables à toute propagande : matraquage, utilisation des slogans, utilisation des émotions, d’hyperboles, d’amalgames, aujourd’hui victimisation et diabolisation de l’adversaire.

Comment se protéger contre ces discours ?

C’est une question difficile. Et il n’y pas de réponse miracle. Car tout le monde n’en a pas les moyens. Il faut du temps, du savoir. Le temps nécessaire à la vérification des faits, la reconnaissance des maîtres-mots, qui provoquent les réflexes pavloviens d’identification immédiate (‘’bienveillance’’, ‘’tolérance’’, ‘’vivre-ensemble’’, ‘’inclusif’’…). Le décodage des discours propagandiste s’apprend avec l’attention portée au langage et l’interrogation du sens qui nous est imposé par ce type de discours.

Que pensez-vous du discours propagandiste de Vladimir Poutine sur la guerre en Ukraine ?

C’est un discours ennuyeux, tellement il est usé et dépourvu d’imagination. Pratiquement rien n’a changé depuis l’époque soviétique qui a élaboré un puissant appareil de propagande, très renforcé par les actions punitives. Les procédés discursifs sont les mêmes que ceux que nous avons connus à l’époque soviétique : mensonge, manipulation du sens des mots, manipulation des images, diabolisation des adversaires, réduction ad hitlerum (d’ailleurs, le procédé phare dans cette guerre où le peuple entier est réduit à un ensemble de nazis), mais aussi les menaces dirigées contre ceux qui n’y adhèrent pas. Il suffit de prononcer le mot « guerre » en Russie et d’être entendu par les sbires du régime poutinien, pour écoper de quinze ans de prison. Les médias officiels russes feraient rougir un Goebbels, ce sont les principaux vecteurs de mensonge éhonté, d’autant plus incroyables qu’aujourd’hui l’accès à l’information reste possible, même dans les conditions d’un contrôle puissant de l’État. Le plus étonnant c’est que ça marche et même plutôt bien.

Quel est selon vous le discours propagandiste le plus perfectionné de l’Histoire ?

Personne n’a su égaler la propagande communiste. Théorisée par Lénine, perfectionnée par ses héritiers, dont Mao Tsé-Toung, mise en pratique par un grand nombre d’organes propagandistes, elle était totale. Elle a exercé une emprise absolue sur tous les domaines de l’activité humaine : l’art, la culture, l’éducation, le sport, la politique, la création, la vie intime. Conjuguée avec la terreur, elle a fonctionné pratiquement pendant 70 ans et a touché des millions de personnes qui y croyaient, en broyant d’autres millions, jugés non-conformes à l’idéologie dominante dont la propagande communiste était un outil principal.

Vous écrivez que la propagande n’est pas l’apanage des régimes autoritaires ou totalitaires. Les démocraties, aussi, les utilisent. Existe-t-il des vertus aux discours propagandistes ? Si oui, quelles sont-elles ?

Tout dépend de la manière et du contexte dans lequel le mot est utilisé. Il n’y a aucune société sans discours propagandistes. Le propre du discours propagandiste est d’inciter l’autre à penser, à faire ou à agir d’une certaine manière. La propagande des régimes totalitaires était celle de l’État qui exerçait un contrôle absolu sur les populations. Il s’agissait de promettre aux gens un monde meilleur qui ne pouvait advenir que si on adhérait à la ligne du Parti. Ce n’est pas le cas au sein des sociétés démocratiques.

La promesse et l’incitation sont inhérentes au discours propagandiste. Lorsqu’il ne s’agit pas de propager des idéologies crapuleuses, au nom desquelles la propagande commet ce que S. Tchakhotin appelle « le viol des foules » mais que les discours incitent à s’intéresser à l’art, à la culture, à la science ou encore à la lecture de la poésie, alors, la propagande a des effets vertueux  sur la vie de la cité.

Un puissant discours propagandiste, racontez-vous dans votre livre, sévit en France. Il s’agit du « knockisme ». Pouvez-vous expliquer ?

J’ai proposé ce terme dans mon livre, par allusion au célèbre personnage du Docteur Knock, en observant la propagande massive autour de l’inclusivisme (linguistique, sociale, politique, culturel, éducatif et j’en passe). Le knockisme est une stratégie-phare des discours propagandistes contemporains qui inventent les maux inexistants, pour prétendre en proposer les remèdes, aussi absurdes que les maladies inventées.

La langue serait malade d’androfallogocentrisme (sic !), elle serait atteinte de la maladie de la masculinisation, la société serait malade de racisme systémique, la culture occidentale coloniserait le savoir, la littérature serait porteuse des valeurs oppressives du passé et mettrait en scène les « violences sexistes et sexuelles », l’objectivité serait un leurre du rationalisme blanc créée pour opprimer la raison identitaire, fondée sur le sexe ou la couleur de la peau, nos enfants seraient endoctrinés par l’éducation « hétéro-normative » « genrée», etc. Les Knock ne font pas que déclarer la maladie, ils en proposent aussi des remèdes tout aussi imaginaires que les maladies (utilisation du langage inclusif qui améliorerait la vie des femmes), et certains très coûteux pour le contribuable (les formations obligatoires d’équité, diversité inclusivité, formations « Violences Sexistes Sexuelles », gender éditors, programmes de recherches européens sur l’islamophobie, etc.). Le knockisme, produit d’un certain milieu intellectuel, est un puissant outil d’emprise collective.

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