Argumentation

Retranscription de l’entretien avec Danielle Khayat du 1er février 2024: Droit international, colonisation, occupation, CIJ et génocide.

Yana Grinshpun :

Suivant de nombreuses demandes de spectateurs de la chaine perditions-idéologiques, nous proposons ici une retranscription de l’entretien avec Danielle Khayatt,  ancien magistrat,  procureur de la République  adjoint au tribunal de grande instance de Versailles. Elle fut également chargée de cours à l’Université Paris II Panthéon- Assas, elle était donc professeur de Droit.

Souvent, lorsqu’on entend ou qu’on lit les discours qui accusent Israël de tous les crimes, y compris le crime de son existence même, on invoque le droit international.  Ce syntagme de «droit international» fonctionne donc comme une formule magique qui réfère aux «Tables de la Loi», que tout le monde est censé connaître mais que personne ne peut définir. Un jour, lors d’un débat télévisé, j’ai demandé à mon contradicteur qui parlait d’Israël qui «violait le droit international» s’il pouvait me citer les articles dudit droit selon lesquels Israël  violerait le droit international : il n’a pas su me répondre. Ainsi, lorsqu’on pose la question aux accusateurs d’Israël : «Qu’est-ce que c’est le droit international ? Est-ce qu’il s’agit bien d’ensemble d’articles du Code pénal, du Code civil ?», on n’obtient jamais de réponse claire. C’est pour qu’elle nous réponde à ces questions que  j’ai invité aujourd’hui Danielle Khayat.

Danielle Khayat :

Je voudrais d’abord indiquer que tout ce que je vais dire, je le dirai comme juriste.

Aujourd’hui, on a tendance à se servir de tous les vocabulaires, et notamment du vocabulaire juridique, en vidant les définitions et les concepts de leur contenu technique : c’est devenu à la mode, et j’espère que cette mode se terminera bientôt. Les termes juridiques ont une acception bien précise, et ce n’est pas parce qu’il est devenu commode de détourner et de vider un certain nombre de concepts de leur signification que cette pratique est pour autant tolérable.

Donc, je vais parler comme technicienne. Mes propos pourront choquer certains parce qu’ils vont à l’encontre de beaucoup d’idées très répandues, et d’autant plus répandues qu’elles sont le plus souvent totalement erronées, volontairement erronées dans un but de propagande. Mais, en ce qui me concerne, je m’en tiendrai à la loi.

«Les faits sont têtus» disait  Lénine. Les concepts juridiques et les définitions juridiques le sont au moins autant.

Cette remarque préliminaire faite, je réponds à votre question :  le droit international  existe bien sûr.  Le droit international public régit les relations entre les États.

A côté du droit privé qui régit, dans chaque pays, les relations entre les individus, il existe  le droit international public qui régit les relations entre les États. Il est formé par un certain nombre de règles internationales d’origine conventionnelle, quelquefois d’origine coutumière mais qui ont été reprises ensuite, le plus souvent, par les conventions pour qu’on sache exactement de quoi on parle.

Le droit international public se subdivise en de nombreuses branches.

On a ainsi, par exemple, le droit international maritime – ce qui se comprend aisément, puisque la navigation maritime est essentiellement internationale, le  droit international aérien. Là aussi, la navigation aérienne est surtout internationale.

Parmi toutes les branches du droit international public, il en est une qui nous intéresse plus spécifiquement ici : ce que l’on appelait –  et ce que l’on appelle encore dans certains cercles juridiques –  «jus gentium», le droit des gens, plus précisément le «droit des gens et de la guerre», parce que cette branche du droit international public qu’est le «jus gentium» s’est créée au fur et à mesure des conflits armés. L’histoire des humains, c’est l’histoire des guerres. C’est essentiellement par les guerres – quelquefois par les mariages et les fiefs apportés en dot, ou, plus rarement encore, par des legs testamentaires –  que les Etats se sont constitués et ont étendu leur territoire.

De nos jours, au lieu de «jus gentium» ou de «droit des gens et les conflits armés», on emploie plus souvent l’expression de «droit international humanitaire» ou de «droit humanitaire international» selon la manière dont on traduit cette expression d’origine anglo-saxonne. On utilise également les mots de «droit des conflits armés» .

Quels que soient les termes utilisés, on désigne ainsi un ensemble de règles visant  plusieurs objectifs à caractère «humanitaire» : d’abord limiter les effets des opérations de guerre à l’égard des populations, des installations civiles, des personnes qui ne participent pas ou ne participent plus aux combats (prisonniers de guerre, réfugiés) ; ensuite, et c’est  l’autre objectif, limiter les moyens, les buts de la guerre et les armes utilisées.

Un mot pour préciser que c’est un droit ancien dont on a déjà les prémisses dans l’Antiquité. Pour ce qui est du droit moderne, on considère que l’origine se trouve dans les travaux d’Henri Dunan, le fondateur de la Croix-Rouge Internationale : horrifié par les massacres qu’il avait vus lors de la bataille de Solféerino, il écrivit un certain nombre de de textes qui ont servi par la suite à l’élaboration des Conventions de Genève relatives à la guerre. Virent ainsi le jour quatre conventions en 1949, puis un premier protocole additionnel en 1977.  Ce sont les principaux textes constitutifs du Droit International Humanitaire. D’autres sont intervenus par la suite. Ces textes ne s’appliquent qu’en cas de guerre internationale.

Or, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, on se trouve face à une situation nouvelle –  et une difficulté de taille. En effet, alors que traditionnellement une guerre opposait deux Etats ou plusieurs Etats ou des coalitions d’États, on a vu apparaître, depuis 1945, ce que l’on appelle depuis peu les « conflits asymétriques » où des Etats affrontent des groupes terroristes, parfois extrêmement puissants. En ce qui concerne les guerres civiles, un second Protocole Additionnel a vu le jour. Mais, pour ce qui est des groupes terroristes, et des milices armées qui sont au service de ces groupes terroristes ou au service d’Etats, on n’a rien. Rien n’existe au plan juridique en ce qui concerne les «conflits asymétriques» qui constituent en quelque sorte un «trou béant» du droit des conflits armés.

Par hypothèse, les groupes terroristes ne constituent pas des Etats, et il est illusoire de prétendre qu’ils pourraient se sentir liés de quelque manière que ce soit par le droit public international. Celui-ci ne régit que les relations entre États, et seuls les Etats sont parties prenantes des conventions internationales.

Nous reviendrons par la suite sur l’Ordonnance rendue par la Cour Internationale de Justice le 26 janvier 2024. Mais, d’ores et déjà, il est important de souligner une incidente   qui figure dans cette décision. La Cour internationale de Justice (§85) « estime nécessaire de rappeler que toutes les parties au conflit  dans la Bande de Gaza  sont liées par le droit international humanitaire » : mais c’est faux !

C’est un point qu’il est important de souligner parce qu’est ainsi mis en évidence un déséquilibre particulièrement préoccupant : l’une des parties, Israël, est un Etat et est donc liée par le droit international humanitaire, tandis que l’autre partie, le Hamas, est affranchie de toutes les obligations résultant de ce droit par le fait même qu’elle n’est pas un Etat.  

Y. G. :

C’est-à-dire que, par exemple, on ne pourra jamais déposer une plainte contre le Hezbollah, et le Hezbollah ne pourra pas être considéré comme une partie juridique répondant de ses actes ? 

D. K. :

Le Hezbollah est considéré par la plupart des États comme un groupe terroriste. Il n’en demeure pas moins qu’il participe au gouvernement libanais. On est face à une sorte de Janus présentant tantôt le visage du terrorisme international, tantôt celui d’un parti de gouvernement. L’ambiguïté est continuellement maintenue, elle est même, parfois, encouragée : quand on sait que la France, par exemple, veut distinguer entre la branche armée et la branche politique du Hezbollah, elle donne acte de ce double visage, mais elle favorise, également l’ambiguïté du Hezbollah au regard du droit international.

Quant au Hamas, c’est un groupe terroriste qui s’est emparé du pouvoir dans la Bande de Gaza – comme les Houtis se sont emparés du pouvoir au Yémen. Mais s’emparer du pouvoir ce n’est pas constituer un Etat.

Y. G. :

Donc, le droit international c’est un Code, un ensemble de conventions qui s’imposent aux Etats qui en sont membres.

D. K. :

Ce n’est pas un Code au sens que l’on donne à ce terme quand on parle par exemple du Code civil. C’est un ensemble de conventions et de traités internationaux auxquels ont adhéré des Etats. Mais tous les Etats membres de l’ONU n’ont pas ratifié toutes les conventions internationales constitutives de ce droit.  Si on prend la Convention sur la prévention et la répression du génocide, le Qatar, par exemple, n’y est pas partie, ne l’a pas ratifiée à ce jour. Et il en va ainsi pour d’autres conventions et d’autres Etats.

Y. G. :

On l’a vu avec la Russie contre laquelle la Cour internationale de Justice a quand même émis des ordonnances que la Russie n’a absolument pas respectées. C’est-à-dire que, dans le cas de la Russie en tout cas, ça n’a pas eu d’effet coercitif.

D.K. :

C’est un des points sur lesquels on va peut-être revenir à l’occasion d’une question sur la Cour internationale de Justice : quels sont ses pouvoirs ? Comment peut-elle faire respecter ses décisions ? Etc.

Y. G. : 

Peut-être avant justement, je vous pose la question qui m’a souvent été  adressée. C’est une question sur la «colonisation» et sur l’ «occupation» israéliennes qui seraient contraires au Droit international. Qu’en est-il du point de vue du droit international ? Est-ce que, vous qui êtes juriste, vous pourriez dire si, oui ou non, selon ce droit, Israël a colonisé ou bien occupé des terres qui n’étaient pas les siennes ?

D. K. :

On doit toujours commencer par une définition. Je vais donc commencer par la colonisation. La colonisation n’a pas de définition juridique. C’est une pratique très ancienne que l’on fait remonter au moins aux « clérouquies », ces paysans très pauvres de la Grèce antique. Les terres grecques étaient non fertiles, elle ne permettait pas de nourrir toute la population, si bien que nombre de paysans sont partis sur les mers, on les a appelés les clérouquies[1]. Ils se sont installés dans ce qui est aujourd’hui appelé la Sicile mais qui s’appelait à l’époque – et c’est significatif –  la « Grande Grèce ».

La colonisation est une pratique qui est très ancienne. Elle consiste dans l’installation d’un groupe sur un territoire dont il n’est pas originaire. Le but premier était de s’installer dans des terres fertiles permettant de nourrir les gens qui venaient. Au fil du temps, cette installation s’est accompagnée d’une domination politique, économique et culturelle.

Ce fut ensuite la construction des grands empires coloniaux de la France et du Royaume-Uni. Mais également, jusqu’à son démantèlement à la fin de la première guerre mondiale, de l’Empire colonial allemand en Afrique, qui, après 1918, a été démantelé et partagé entre les vainqueurs. C’est tout le problème de la guerre. Voilà pour ce qui est de la colonisation.

C’est un mot qui ne correspond pas d’abord forcément à quelque chose de négatif : au fil de l’Histoire, ce ne fut pas forcément synonyme de massacres de populations locales ou d’extinction de leur culture etc. A l’origine, c’était pour des raisons économiques que des groupes allaient s’installer ailleurs que chez eux.

La notion s’est par la suite modifiée avec la constitution des grands empires coloniaux en Afrique mais également en Amérique, que ce soit en Amérique du Sud avec les Espagnols et les Portugais quand ils découvrent et s’emparent de l’Amérique du Sud, les Anglais quand ils s’installent en Amérique du Nord, etc.

C’est un phénomène qui n’a jamais cessé. Quand on voit des migrations massives à l’heure actuelle avec cette volonté justement d’imposer une autre culture, le mot de colonisation est banni pour des raisons de « politiquement correct », mais on peut se poser la question quand même.

Y.G. :

Donc, si on parle de la Judée par exemple, de la Judée-Samarie.

D.K. :

Alors, on va en venir maintenant à une autre notion qui est celle d’occupation. L’occupation c’est quelque chose, en revanche, de juridiquement défini : c’est l’installation dans un territoire conquis à la suite d’une guerre gagnée sur le précédent possesseur, le précédent propriétaire de ce territoire.

C’est donc la situation dans laquelle se trouve un Etat au cours ou à l’issue d’un conflit armé, quand il est envahi et qu’il est placé sous domination militaire totale ou partielle, mais sans pour autant être annexé. L’occupation et l’annexion sont des choses différentes. Si un territoire est annexé, il n’est plus un territoire occupé. Le droit des conflits armés, le fameux droit international humanitaire, prévoit un certain nombre de règles applicables quand une armée déploie son activité hors de ses frontières, sur le territoire d’un autre État, après ouverture des hostilités avec celui-ci. Il y a un certain nombre de règles qui visent essentiellement à la protection des populations civiles, des installations civiles, etc. Donc, l’occupation suppose juridiquement que le territoire envahi par un Etat dans le cadre ou à l’issue d’un conflit armé relève de la souveraineté d’un autre État avec lequel les hostilités ont été engagées ou sont en cours.

Si on en vient à la situation qui concerne Israël, on pourrait en débattre très longuement parce que, quand on présente ce conflit, on le présente de manière toujours tronquée, en laissant de côté un certain nombre d’éléments historiques qui gênent.

Il faut d’abord rappeler que la bande de Gaza, la Judée-Samarie et la partie orientale de Jérusalem ont été conquises en 1967 à l’occasion d’hostilités déclenchées par les voisins arabes d’Israël. Certes, c’est Israël qui a pris l’initiative des opérations, mais à la suite d’un fait de guerre unanimement admis comme cause de légitime défense préventive : le blocage du golfe d’Akaba par Nasser. Et le blocage d’une voie maritime, c’est un « casus belli » de légitime défense. Donc la conquête de ces territoires de Gaza, de Judée-Samarie et de la partie orientale de Jérusalem, c’est la conséquence d’un conflit voulu par les voisins arabes d’Israël.

Examinons la situation de ces trois territoires.

Commençons par Jérusalem.

A l’origine, en 1947, quand il y a le partage de la Palestine mandataire –  le nouveau partage, parce qu’il y a eu un premier partage de la Palestine mandataire effectué unilatéralement en 1921 par le Royaume-Uni  qui en donne la plus grande partie en remerciement pour ses services au Chérif Hussein, chef du clan hachémite – il est  prévu (Résolution 181 du 29 novembre 1947 de l’ONU) que Jérusalem sera, pour 10 ans à compter du 1er octobre 1948, « corpus separatum » c’est-à- dire internationalisée, qu’elle ne sera sous la souveraineté ni de la Jordanie (à l’époque royaume de Transjordanie), ni des deux nouveaux Etats prévus par ce plan de partage – l’Etat arabe et l’État juif. On sait ce qu’il est advenu. Les Etats arabes rejettent immédiatement ce plan de partage et, dès qu’Israël proclame son indépendance le 14 mai 1948, ses voisins arabes déclenchent les hostilités. Le royaume de Transjordanie s’empare de la partie orientale de Jérusalem. Et, de 1948-49 la guerre se termine en 1949 après plusieurs armistices et reprises des combats – plus personne à l’ONU, plus aucun Etat n’évoquera la situation. Il y a eu un Etat, je crois, qui avait voulu remettre la question à l’ordre du jour de l’ONU, mais il s’est fait discrètement rappeler à l’ordre et la question n’a plus jamais été évoquée aux Nations Unies. L’ONU s’est ainsi volontairement abstenue de faire appliquer sa résolution 181 sur l’internationalisation de Jérusalem.

Elle ne s’est réveillée que lorsque la partie orientale de Jérusalem a été sous souveraineté israélienne.

Y.G. : Après 1967 ?

D.K. : Après 1967 ! Jusque-là, pendant 19 ans, tout le monde s’est parfaitement accommodé de la situation qui faisait que Jérusalem était divisée en deux ; que, régulièrement, les Jordaniens tiraient, depuis leur côté du mur divisant la ville, sur les Israéliens ; que les Israéliens n’avaient pas le droit de se rendre à Jérusalem- Est ; que les Juifs ne pouvaient s’y rendre qu’en dissimulant leur judéité –  et c’était extrêmement dangereux ; que, à la suite de la conquête jordanienne, les populations juives – qui y vivaient depuis deux millénaires, depuis l’Antiquité,- car il y a toujours eu une présence juive importante à Jérusalem et même une présence majoritaire –  ont été massacrées quand elles  n’ont pas pu fuir, leurs biens ont été confisqués, les synagogues et les cimetières ont été détruits. Le tout dans l’indifférence internationale absolue.

Il est important de rappeler ces faits parce que, quand on voit tous les problèmes qui surgissent notamment dans le quartier de Shimon HaTsadik[2], on comprend les revendications des anciens propriétaires qui ont été purement et simplement spoliés au moment de l’invasion transjordanienne de Jérusalem.

Voilà donc la situation telle qu’elle s’est présentée : Israël s’est emparé, en 1967, de la partie orientale de Jérusalem, mais cette partie orientale avait été conquise par le royaume de Transjordanie sans droit ni titre, et en violation de la Résolution 181 de l’ONU.  Il ne s’agissait pas, en 1967, d’une conquête par Israël d’un territoire sur lequel la souveraineté jordanienne était légitime. C’est tout le contraire : la Jordanie s’en était emparée par la force en entrant en guerre contre Israël en 1948, Israël le lui a repris à la suite d’une guerre déclenchée à nouveau par la Jordanie en 1967.

Y.G. : Je crois que deux pays ont reconnu l’annexion de la partie orientale de Jérusalem par la Transjordanie : la Grande-Bretagne et le Pakistan[3].

D.K. : Franchement, je ne sais pas. Je ne pense pas que le Royaume- Uni soit allé jusque- là, mais je ne suis pas allée vérifier. Toutefois, la Jordanie n’a jamais eu l’assentiment international puisqu’elle occupait la partie orientale de Jérusalem en violation d’une résolution de l’ONU. Et elle n’a jamais fait de Jérusalem sa capitale. Du reste, depuis la chute de l’empire romain, aucun des conquérants successifs de Jérusalem n’en a fait sa capitale. C’est important de le rappeler parce que les revendications de Mahmoud Abbas et autres d’en faire aujourd’hui sa capitale, c’est du pur opportunisme. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait entre 1948 et 1967, n’est-ce pas ?

Y. G. : Alors, si je comprends bien ce que vous dites, la colonisation s’applique à des terres qui n’ont rien à voir, dans le sens moderne de ce terme, avec la métropole. Et, quand on parle de la colonisation de la Judée par Israël, nous sommes dans le cas de la subversion totale.

D.K. :  c’est le deuxième point que je veux évoquer.

Quand on parle de la Judée-Samarie, on entend souvent employer les mots d’occupation et de colonisation. On a défini tout à l’heure la colonisation. L’usage de ce mot pour la situation de la Judée-Samarie vient  d’une traduction erronée, d’une traduction approximative, du terme anglais « settlement » qui signifie « implantation ».  C’est devenu «colonie», «colonisation» et «colon» en français. Cela ne correspond à rien du tout du point de vue juridique :  une implantation c’est une implantation, ça peut être une implantation légitime ou une implantation illégitime. Mais à chaque fois il faut en revenir à quelque chose de très précis. La Judée-Samarie correspond à des zones qui étaient incluses, en 1947, dans le plan de partage de la Résolution 181.Une partie en était attribuée au nouvel Etat juif. Le Goush Etzion (implantation au sud de Jérusalem NDRL), par exemple, avait été inclus dans les terres allouées, reconnues, au nouvel État juif. Lors de la guerre déclenchée par les Etats arabes en 1948 à la suite de la proclamation de son indépendance par Israël, le Goush Etzion a été conquis, comme tout le reste de la Judée-Samarie, par le royaume de Transjordanie. Lequel, précisément à la suite de cette conquête, a pris le nom de « royaume de Jordanie » : ce qui se comprend puisque il n’y avait plus de «Transjordanie», le terme même n’avait plus de sens au regard du fleuve Jourdain. Le royaume de Jordanie s’est emparé de ces territoires-là, y compris le territoire qui avait été attribué à l’Etat juif – qui prendra le nom d’Israël le 14 mai 1948 –  dans le cadre du plan de partage. Au moment de la guerre de 1967, la guerre des 6 Jours, Israël s’empare de la Judée et de la Samarie. Par la suite, la Jordanie va renoncer à toute souveraineté sur ces territoire-là. Ils deviennent donc des territoires qui avaient été conquis, qui n’avaient pas été attribués à Israël sauf la zone à peu près du Goush Etzion, des territoires dont la Jordanie s’était emparée par la force, qui auraient dû faire partie de l’Etat arabe prévu par le plan de partage de 1947 –  mais les Arabes ont répondu : « pas question ! On veut tout » et ont déclenché la guerre.

Donc, la Jordanie les avait conquis, en était devenue occupant sans droit ni titre, et, après la Guerre des 6 Jours, les perd et renonce ensuite à la souveraineté qu’elle y a exercée – de fait au moins. Ces territoires de Judée-Samarie deviennent donc sans maître, et ce jusqu’aux Accords d’Oslo : par le fait même qu’ils n’étaient soumis à la souveraineté d’aucun Etat, ils ne pouvaient être qualifiés de « territoires occupés ».

Les Accords d’Oslo, on s’assied un peu trop facilement dessus. Tantôt on est très content de faire des accords internationaux et tantôt on les oublie. Donc, les Accords  d’Oslo, en1993, divisent la Judée-Samarie en trois zones :

  • une, la zone A, est totalement remise à l’Autorité Palestinienne – créée par ces mêmes Accords –  qui doit tout assurer sur cette zone : l’administration civile, militaire et politique.
  • L’autre, la zone B, est pour partie soumise à l’Autorité Palestinienne (administration civile et politique), pour partie soumise à l’État d’Israël – qui conserve le contrôle militaire.
  • Enfin, il y a la zone C qui est entièrement sous contrôle israélien.

Cette zone C est en fait – c’est dit en filigrane, mais évidemment ça n’a jamais été admis ouvertement par la partie palestinienne alors qu’elle a quand même signé ces Accords – constituée de territoires qui étaient voués à devenir à terme partie intégrante d’Israël dans le cadre d’échanges territoriaux –  des territoires israéliens essentiellement peuplés d’Arabes palestiniens auraient été remis en échange à l’Autorité palestinienne.

Cette zone C est militairement, civilement, administrativement, c’est-à -dire à tous les points de vue, rattachée officiellement à Israël dans le cadre des Accords d’Oslo internationalement reconnus.

Or, c’est à propos de cette zone C que l’on parle de colonisation parce qu’il y a des implantations ; Ou parce qu’on dénonce la destructions d’écoles ou autres structures dont la construction a été financée par l’Union européenne, etc.

Mais l’Union Européenne, en finançant ces constructions, viole elle-même les Accords d’Oslo ! Elle ne peut pas légitimement participer à cette tentative de grignotage de la zone C, en faisant mine d’ignorer le contenu des Accords d’Oslo. Là aussi c’est une immense imposture que d’être, d’un côté, signataire de certains accords et, de l’autre côté, de tout faire pour les faire tomber.

Ce n’est absolument pas ainsi que l’on pourra résoudre une situation qui est inextricable déjà, mais à laquelle on ajoute encore des difficultés en feignant d’ignorer le statut réel de cette zone C.

Et lorsque l’Union Européenne, avec notre argent de contribuables français, participe à la construction et s’émeut de la destruction de ce qu’elle construit par le gouvernement israélien, elle joue à quoi ? Le gouvernement israélien applique les Accords d’Oslo, c’est tout.

Jouer ainsi sur les 2 tableaux à des fins de politique intérieure et de politique extérieure, comme le font l’Union Européenne et le gouvernement français, ça ne rend service à personne, absolument à personne. Sauf à ceux qui sont dans le cadre de cette propagande en utilisant à tort et à travers des concepts comme « colonisation » et « occupation ».

  • En ce qui concerne la bande de Gaza –  je termine puisqu’il y avait trois territoires à examiner.

La bande de Gaza, qui est tristement d’actualité, avait été, dans le cadre de la guerre de 1948-1949, conquise par l’Égypte. Après la Guerre des 6 jours en 1967, Israël s’en était emparé – ainsi que de la péninsule du Sinaï. Lorsque, après la guerre de Kippour en 1973, il y a eu les accords signés entre Menahem Begin et Anouar Al- Sadate, Sadate voulait récupérer le Sinaï mais il ne voulait absolument pas de la bande de Gaza. Il avait ses raisons, mais ce fut indiscutablement une erreur de la part de Begin de ne pas avoir fait pression sur lui. Sadate voulait retrouver les revenus provenant des droits de navigation sur le canal de Suez, ainsi que ceux du pétrole du Sinaï : il aurait fini par accepter de reprendre la bande de Gaza et de faire son problème de cette bande de Gaza, de son sort et de son développement. Mais Begin s’est incliné devant le refus de Sadate. Et la situation a donc duré jusqu’en 2005.

A ce moment-là, unilatéralement, Ariel Sharon décide d’évacuer les implantations israéliennes dans la bande de Gaza. Pendant 2 ans, l’Autorité Palestinienne –  qui avait été créée par les accords d’Oslo –  va essayer de gouverner la bande de Gaza. Mais, en 2007, le Hamas s’empare du pouvoir et y crée la situation qu’on connaît.

Il n’en demeure pas moins que cette zone-là est « Judenrein ».

Lorsqu’on parle de colonisation à Gaza, mais quelle colonisation ? Il n’y a plus un seul Israélien, il n’y a plus un seul Juif dans la bande de Gaza ! La zone A de la Judée-Samarie, qui est sous le contrôle exclusif de l’ Autorité Palestinienne, est également « Judenrein ».

Et le futur État palestinien, s’il voit le jour, Mahmoud Abbas l’a dit et répété, ce sera un Etat où aucun Juif ne sera toléré, un Etat « Judenrein ».

Lorsque un certain nombre d’hommes politiques parlent actuellement de la reconnaissance d’un État palestinien, il faut quand même qu’ils assument que, indépendamment de toutes les autres questions, ce sera un Etat « Judenrein ».

Alors, il est où, de quel côté, «l’apartheid» que certains brandissent et répètent comme un mantra ?

Un dernier mot concernant Gaza. Parce que quand même il faut dire les choses jusqu’au bout : Gaza a une frontière avec l’Égypte, cette frontière est hermétiquement fermée. Tous les reproches sont faits à Israël mais jamais à l’Égypte qui, à l’heure actuelle, refuse, pour des raisons qu’on peut imaginer, même l’entrée des réfugiés. Si on compare avec la situation avec la guerre en Ukraine, toutes les frontières des pays européens se sont ouvertes pour accueillir les réfugiés ukrainiens ; là, l’Égypte ne veut pas entendre parler de laisser rentrer les populations civiles qui fuient les combats. Les reproches faits à Israël ont donc un caractère très unilatéral. Gaza n’est pas « une prison à ciel ouvert », elle a une frontière avec l’Égypte : que le problème soit aussi résolu par la partie arabe.

Y. G. : Oui, on sait que l’Égypte, aussi, a des craintes d’avoir parmi les populations civiles les combattants du Hamas, la branche des Frères musulmans, lesquels ont été interdits en Égypte mais qui sont très présents. Je crois que c’est une des craintes qu’on connaît.

D.K. : Oui, on peut comprendre leurs craintes mais pourquoi faudrait-il que le danger soit uniquement porté par Israël ?

Y.G. :  Oui, c’est effectivement une habitude du discours médiatique, diplomatique et politique qui considère qu’Israël est le seul responsable de tous les maux qui arrivent à ses voisins. Mais parlons justement de ce qui s’est passé le 7 octobre avec les voisins et revenons aux accusations du génocide.   Le terme de « génocide » a été inventé par un juriste pour pouvoir juger le pire crime contre l’humanité : Raphaël Lemkin, juriste juif polonais.

Alors, le 7 octobre, un massacre génocidaire a été commis sur le sol d’Israël. Et, comme on dispose aujourd’hui de tous les plans du Hamas en détail, on sait que le plan consistait à tuer le plus de Juifs possible. Et, si le Hamas n’avait pas été arrêté par l’armée israélienne, peut-être que l’issue –  enfin, en tout cas ce jour-là –  aurait été beaucoup plus tragique. Donc il s’agit là clairement d’un massacre génocidaire. Et la question que je voulais vous poser –  vous y avez déjà partiellement répondu, mais je la repose quand même –  est la suivante :   pourquoi Israël n’a pas déposé plainte contre le génocide qui a été commis par le Hamas ? Vous avez répondu en disant que le Hamas n’est pas un Etat et donc il est impossible de juger une organisation terroriste.

D.K. : Le Hamas n’est pas un Etat, donc Israël ne peut pas le traîner ni devant la Cour internationale de justice ni devant le Tribunal pénal international –  puisqu’il y a un empilement à la fois de conventions et de juridictions. En revanche, le commanditaire, le financier, celui qui entraîne les terroristes du Hamas, on sait très bien qui c’est. J’ai vu tout à l’heure qu’un certain nombre de familles des victimes de ce massacre à caractère génocidaire et de familles d’otages encore aux mains du Hamas ont saisi le tribunal du district de Washington contre l’Iran, précisément en disant : ce sont les Iraniens qui ont financé, qui ont armé, qui ont entraîné, donc on les poursuit et on les poursuit dans les tribunaux américains. Parce que seul un Etat pourrait poursuivre l’Iran devant le TPI ou devant la CIJ. Or, s’agissant de défendre Israël, je ne pense pas qu’un seul des Etats membres de l’ONU ait envie de traîner l’Iran devant la Cour internationale de justice – et encore moins devant le  ribunal pénal international. Et ce, pour des raisons qu’on peut comprendre. Mais pourquoi Israël ne le fait-il pas, je ne peux pas répondre à cette question. J’aimerais bien poser la question à des responsables israéliens :  pourquoi n’agissez-vous pas contre l’Iran? Pourquoi ne le traînez-vous pas devant la Cour internationale de justice ou devant la Cour pénale internationale ?

Y.G. : Est-ce que, justement, vous pourriez expliquer quelle est la différence de la Cour internationale de justice et de la Cour pénale internationale.

D.K. : Ce sont deux instances différentes. Celle qui s’est prononcée vendredi dernier, par cette fameuse ordonnance dont tout le monde parle, et qui était donc saisie par l’Afrique du Sud contre Israël, c’est la Cour Internationale de Justice.

Il y existe une autre instance juridictionnelle internationale, plus récente et totalement distincte, qui s’appelle la Cour pénale internationale – qui a été créée par le « Statut de Rome » du 17 juillet 1998 et qui « est liée aux Nations-unies par un accord…» selon l’article 2 de ce texte. 

En revanche, la Cour internationale de justice est un organe de l’ONU : la situation est donc différente.

La Cour Internationale de Justice (C.I.J.) a plusieurs ancêtres. A l’origine, elle consistait en des chambres d’arbitrage international parce qu’on considérait pertinent – et c’est certainement la formule la plus intelligente à laquelle on sera obligé un jour ou l’autre de revenir –  de faire des médiations, des arbitrages entre les États qui ont des conflits –  que ce soit des conflits territoriaux, des conflits de voies navigables, des revendications territoriales, etc. La forme actuelle de la Cour internationale de justice résulte de la création de l’ONU après la fin de la deuxième Guerre mondiale. La Cour internationale de justice est un organe de l’ONU. Si vous le permettez, je vais utiliser une comparaison pour rendre les choses plus compréhensibles.

Dans un Etat, vous avez le pouvoir législatif avec un Parlement à une ou plusieurs chambres, souvent c’est plusieurs chambres mais ce n’est pas nécessairement la règle ; à côté, vous avez le pouvoir exécutif avec des ministres qui ont très souvent – mais pas toujours – à leur tête un Premier ministre ; et, enfin, un pouvoir judiciaire – qui, depuis la Constitution de 1958 en France n’est plus un « pouvoir » mais une « autorité », mais cela ne change rien pour notre exposé ici.  

C’est l’image de l’organisation des pouvoirs telle qu’elle a été exposée par Montesquieu : pouvoir législatif, pouvoir exécutif, pouvoir judiciaire. C’est la même chose au niveau de l’ONU : il y a l’assemblée générale avec tous les Etats membres, qui vote des résolutions et exerce ainsi l’équivalent du pouvoir législatif étatique ; le Conseil de sécurité qui peut prendre des sanctions et est l’équivalent d’un pouvoir exécutif ; et la Cour internationale de justice qui est un organe judiciaire.

La C.I.J. est une émanation de l’ONU : il ne faut jamais perdre de vue cet aspect-là.

La Cour internationale de justice est composée de 15 juges élus pour 9 ans par l’assemblée générale des Nations Unies et le Conseil de sécurité de l’ONU, lors de votes séparés, dans des salles séparées. Les juges sont élus par l’Assemblée Générale et le Conseil de sécurité. C’est une juridiction dont les membres sont renouvelables par tiers tous les 3 ans : il sont élus pour 9 ans avec renouvellement par tiers tous les 3 ans pour assurer une continuité. Le processus de sélection de ces juges est très complexe. Il y a quelques points, cependant, qui sont à retenir.

Tout d’abord, le droit de proposer un candidat appartient à tous les Etats parties au statut de la Cour internationale de Justice, et la Charte des Nations Unies prévoit que tous les États membres de l’ONU sont ipso facto parties au statut de la Cour Internationale de Justice : c’est-à-dire que, concrètement, tous les États-membres de l’ONU ont le droit, la possibilité de présenter un candidat pour devenir juge à la Cour de Justice Internationale. Il faut bien comprendre que toute cette réglementation remonte à une époque où l’ONU ne comportait pas autant de membres : en 1945, il y avait une cinquantaine de membres ; aujourd’hui elle en comporte 193 (chiffre de septembre 2023). Cet accroissement résulte surtout de l’accession à l’indépendance des anciennes colonies, mais aussi parfois des démembrements d’États – par exemple, ce qui était la Tchécoslovaquie c’est maintenant la République tchèque et la Slovaquie : le « divorce » s’est fait à l’amiable, fort heureusement, sans effusion de sang ; contrairement à ce qui s’est passé dans l’ex-Yougoslavie.

Le deuxième point qui est important à retenir en ce qui concerne la composition de la Cour Internationale de Justice, c’est qu’elle ne peut pas comprendre plus d’un ressortissant d’un même État.

Troisième  point. C’est largement une pétition de principe mais le principe est quand même posé : une fois élu, un membre de la Cour n’est le délégué ni du gouvernement de son pays ni du gouvernement d’aucun autre Etat. C’est un magistrat indépendant qui, avant d’entrer en fonction, prend l’engagement d’exercer ses fonctions en totale et pleine impartialité. C’est la moindre des choses, peut- on dire !

Mais il n’en demeure pas moins qu’ils ont été sélectionnés par un Etat, qu’ils ont été élus par l’Assemblée Générale de l’ONU et le Conseil de Sécurité ; et qu’ils font partie du système de l’ONU. On ne peut pas faire l’impasse sur cette réalité, c’est probablement un grand écart mais c’est ainsi. On ne peut pas faire l’impasse sur le fait que la Cour Internationale de Justice est un organe de l’ONU. Il ne faut jamais le perdre de vue. 

La CIJ est un organe de l’ONU et, en tant que tel, n’a pas une indépendance effective absolue – en dépit du statut, du serment et de l’honorabilité de ses membres –  par rapport à cette institution qui est aujourd’hui, il faut bien reconnaître, totalement décrédibilisée. Et ça ne date pas que d’aujourd’hui : quand elle s’assoit dès 1948 sur la résolution qu’elle a votée en novembre 1947 en ce qui concerne Jérusalem, en sachant que Jérusalem est une poudrière à raison de son statut pour les trois religions, qu’elle a été envahie et divisée, etc., on peut dire que, d’emblée, elle s’est décrédibilisée.

Y.G. : D’autant plus qu’on connaît aujourd’hui la situation avec les employés de l’UNRWA  dont on sait que 12 parmi eux ont participé activement aux massacres du 7 octobre et  que tout le monde le savait. C’est-à-dire que ça fait très longtemps que l’ONU sait que cette organisation ne fournit pas seulement l’argent aux groupes terroristes mais aussi

forme les enseignants à la haine de leurs voisins. Personnellement, j’ai fait  un travail sur les manuels palestiniens, et ces manuels sont aussi sponsorisés et financés par l’argent de l’ONU. Donc à la lumière de tout cela, effectivement, il peut paraître étrange qu’on prenne très au sérieux les émanations de l’ONU aujourd’hui, telles que, par exemple, la Cour de Justice Internationale dont vous venez de parler.

D.K. : Ce que vous venez de souligner est avéré. C’est une immense imposture, tout le monde le savait à commencer par l’ONU. Les différents organes de l’ONU savaient qu’une de leurs agences posait problème. Déjà, la création de l’UNRWA, comme agence des Nations Unies a largement contribué à la situation que l’on connaît aujourd’hui. C’est quand même le seul cas de réfugiés héréditaires ! Je crois savoir –  sans rentrer dans des considérations d’ordre personnel –  que vous n’êtes pas née en France, je ne suis pas née en France : est-ce que nous avons la qualité de « réfugiées héréditaires » ? En ce qui me concerne, j’ai été obligée de quitter mon pays natal  – dont j’avais la nationalité –  pour des raisons politiques, je ne suis pas reconnue comme réfugiée ; mes parents n’ont pas été reconnus comme réfugiés et je n’ai pas la qualité non plus de réfugiée – et encore moins héréditaire. Donc la création de l’UNRWA  a, dès l’origine, cristallisé le problème en créant un statut particulier de réfugiés pour cette population qui avait quitté en mai 1948 le jeune Etat d’Israël pour différentes raisons – et notamment les appels des pays arabes environnants : «vous allez revenir, on va tous les massacrer, vous prendrez leurs biens, etc.».

J’avais assisté à une conférence donnée par ONG-Monitor : les ouvrages qui sont donnés aux enfants sont remplis d’incitation à la haine des Juifs. De même, pour les camps de vacances pour enfants -on a des images, ce n’est pas de la propagande israélienne : ces enfants, qui sont dans des camps d’été où on devrait leur apprendre à nager, à faire des exercices physiques, sont en réalité formés à des exercices militaires, ils s’entraînent avec des armes – réelles comme factices, chargées ou pas.

Tout le monde le voyait, tout le monde savait. Et on semble découvrir aujourd’hui ce qui crevait les yeux de tout le monde ? Ce qui est le plus grave, c’est que –  mais on va peut-être y revenir en parlant de la décision elle-même – on ait fait autant confiance – et on continue –  aux rapports de l’UNRWA.

Je voulais parler du fonctionnement de la CJ parce que c’est quand même un point important.

Les décisions de la Cour internationale de justice sont insusceptibles de toute voie de recours. Et là, on a une béance, une contradiction avec ce qui est imposé un peu partout c’est-à-dire que pour toute décision juridictionnelle, il doit exister une possibilité de recours, un mécanisme (appel ou pourvoi en cassation) pour déférer le jugement rendu (ou l’arrêt  à une autre juridiction. Ce n’est pas le cas pour la Cour internationale de Justice : aucune voie de recours n’est possible contre les décisions qu’elle rend. Les décisions de la C.I.J. sont juridiquement contraignantes mais, en tant que telle, la Cour internationale de justice ne dispose d’aucun moyen de les faire appliquer.

Ainsi, en mars 2022, soit il y a presque 2 ans, elle a ordonné à la Russie de suspendre son offensive en Ukraine –  avec le succès que l’on sait. Il est probable que c’est ce qui a dû jouer au moins en partie dans la décision de la Cour internationale de Justice le 26 janvier dernier de ne pas se couvrir une fois de plus de ridicule en ordonnant un cessez-le-feu qui n’aurait pas été respecté. On peut penser que c’est une des raisons — probablement pas la seule, mais le fait est là : la guerre continue en Ukraine, en dépit d’une décision de la C.I.J. Pourquoi ? Parce que l’effectivité d’une décision de la Cour internationale de justice est indirecte. N’importe quel Etat de l’ONU – puisque tous sont membres de la C.I.J. –  pourrait, sur la base d’un arrêt ou d’une ordonnance de la Cour de la Cour internationale de justice, saisir l’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité de l’ONU.

Cependant, tout le monde sait que, au Conseil de sécurité, il y a les Etats membres permanents qui disposent d’un droit de veto. Si bien que, après la décision de mars 2022 qui ordonnait à la Russie de suspendre ses opérations militaires en Ukraine et qui est restée lettre morte, aucun Etat membre n’a saisi le Conseil de sécurité parce que, tout simplement, la Russie aurait exercé son droit de veto c’est-à-dire que ç’aurait été un coup d’épée dans l’eau.

En revanche, si ça avait été le cas pour Israël, c’est-dire si un cessez-le-feu avait été ordonné par la CIJ, il y aurait eu là, probablement, un nouveau moyen de pression de l’administration Biden sur Israël.

Donc, de ce point de vue-là, heureusement, la Cour internationale de justice n’a pas ordonné le cessez-le-feu parce qu’une telle décision aurait entraîné de nouvelles problématiques pour Israël. Les États-Unis n’ont pas toujours exercé leur droit de veto : un des derniers actes de l’administration Obama a été de ne pas avoir opposé son veto à une résolution anti-israélienne au Conseil de sécurité.

Y.G. : Mais alors deux questions qui découlent de ce que vous venez de dire.

La première question : est-ce que la Cour internationale de Justice aurait pu débouter, rejeter la plainte déposée par l’Afrique du Sud ?

Et la deuxième question qui est lié à la première : pourquoi est-ce l’Afrique du Sud qui a déposé cette plainte ? J’ajoute : alors qu’on sait que l’Afrique du Sud a des rapports étroits avec le Hamas, et notamment le 14 janvier 2024 la presse britannique, le Daily Mail a fait un article où ils ont parlé d’une visite qui a été effectuée après le 7 octobre par une délégation du Hamas à l’Afrique du Sud et d’une conversation que la ministre des Affaires étrangères de l’Afrique du Sud a eu avec Ismaïl Hanyeh. La délégation qui est arrivée là-bas au mois de décembre, donc avant la cour, a visité le Parlement, a visité le Congrès et a visité aussi le petit-fils de Mandela. Donc, ce sont des liens connus par tout le monde. Donc pourquoi l’Afrique du Sud dépose la plainte et est-ce que cette plainte aurait pu être déboutée ?

D.K. :

Pourquoi l’Afrique du Sud a-t-elle saisi la Cour internationale de justice contre Israël ?

Tout simplement parce que toute partie signataire de la Convention internationale pour la prévention et la répression du génocide peut saisir la Cour internationale de Justice. Ce n’est pas une nouveauté puisque la Gambie, par exemple, avait saisi la Cour internationale de justice contre le Myanmar (c’est-à-dire la Birmanie) alors qu’elle n’a aucun lien avec les Rowingas.

On peut le comprendre d’ailleurs parce que, le plus souvent, les populations qui risquent un génocide n’ont pas le moyen de s’exprimer elles-mêmes. Donc il y a un Etat qui est signataire de la Convention pour la prévention et la répression du génocide qui va prendre en charge l’aspect juridique et porter l’affaire devant la C.I.J.

Donc de ce point de vue-là, l’Afrique du Sud pouvait saisir –  c’est indiscutable –  la Cour internationale de justice : elle est signataire de la Convention Internationale pour la prévention et la répression du génocide et l’a ratifiée, Israël est également signataire de cette convention et l’a ratifiée. Il n’y avait pas de problème de ce point de vue.Y. G. : Justement une question : si l’Iran par exemple est signataire je ne sais pas si d’ailleurs c’est le cas …

D.K. : Je le pense parce que l’Iran ne figure pas dans le dernier état (datant de janvier 2019 – Source : ONU – Bureau de la prévention du génocide et de la responsabilité de protéger) des 43 Etats membres de l’ONU qui n’ont pas ratifié la Convention

Y. G. : Donc, si l’Iran est signataire de ladite convention, l’Iran aurait pu porter plainte contre Israël pour génocide ?

D. K. : Oui absolument ! Sauf qu’ils sont plus malins que ça quand même ! Ils sont ceux qui financent, arment, entraînent le Hamas, mais ils ont recours à un autre intermédiaire pour agir sur le terrain juridique. Eux, via le Hamas (et le Hezbollah, les Houtis) agissent sur le terrain militaire et financier. Pour l’action judiciaire, ils ont recours à un agent qui s’appelle l’Afrique du Sud. Les liens entre l’A.N.C. et l’Iran ne sont pas un secret, l’A.N.C. est quasiment en faillite financière et l’Iran lui apporte les ressources indispensables à sa survie. Donc, c’est un retour d’ascenseur pour parler familièrement, et c’est tout.

Juridiquement, l’Afrique du Sud pouvait le faire.

Politiquement, on sait qu’il y a des liens très étroits avec le Hamas mais ç’aurait pu être un autre Etat. Mais l’Iran n apparaît pas. L’Iran, officiellement, n’est pour rien dans rien !

Y. G. : Alors, la deuxième question : est-ce que la Cour aurait pu débouter la plainte ?

D. K. : Oui, indiscutablement elle aurait pu d’emblée se déclarer incompétente ou déclarer la demande irrecevable au regard de l’attaque à caractère génocidaire du 7 octobre 2023, du droit à la légitime défense d’Israël et de l’absence de toute preuve de « l’intention génocidaire » dans l’action militaire d’Israël.

Oui, elle aurait pu le faire.

Mais c’est un organe de l’ONU, il ne faut pas oublier que ça joue aussi. En d’autres termes, est-ce que la Cour allait prendre le contre-pied des affirmations de l’Assemblée Générale de l’ONU ? Cela pose un vrai problème : bien sûr ce sont des magistrats indépendants, mais l’indépendance c’est, dirons-nous, quelque chose de relatif. Quand on est l’organe d’une organisation ou d’un Etat, on doit tenir compte aussi de l’ensemble de la politique et on ne doit pas gêner la diplomatie d’un Etat. Si vous prenez le problème d’une manière qui parle davantage peut-être, d’une juridiction pénale française, un juge d’instruction par exemple : il sait quelle est la politique étrangère de son pays. Va-t-il à un moment aller tellement loin dans ses investigations qu’il va mettre en danger la politique étrangère de son pays, voire sa propre sécurité, sa propre intégrité physique ? C’est une question qui se pose et qui s’est déjà posée.

Y. G. : Ma dernière question : quel est votre avis de juriste sur l’ordonnance qui a été émise par la Cour internationale de justice à l’égard d’Israël ?

D. K. : J’ai lu beaucoup de choses sur cette décision. Certaines réflexions totalement pertinentes, d’autres qui m’ont laissée beaucoup plus circonspecte.

Je vais vous donner mon opinion vraiment personnelle.

Je vous ai déjà répondu sur le problème de recevabilité et de rejet de la demande qui aurait pu être d’emblée prononcé. Une chose positive dans cette décision, c’est évidemment que n’a pas été ordonné un cessez-le-feu. Israël ne se serait pas exécuté bien entendu, c’est une question existentielle pour Israël. On a tendance à oublier qu’ Israël est moins étendu que la Bretagne. Et c’est une question de survie de l’État d’Israël. Le Hamas, lui, ne se gêne pas pour avoir dans sa charte comme objectif un objectif génocidaire : l’éradication d’Israël. On a tendance à l’oublier : quand on fait de grandes réflexions moralisatrices, on a tendance à oublier cet aspect des choses. Donc, heureusement, il n’y a pas eu ordre de cessez-le-feu. Il n’aurait pas été respecté, mais il aurait certainement mis Israël en difficulté pour résister à des pressions, notamment des pressions de l’administration Biden qui joue aussi la réélection du président puisque les élections auront lieu en novembre prochain.

Il y a des aspects qui sont beaucoup plus discutables dans cette décision, dans cette ordonnance de la Cour de justice internationale qui a été rendu la semaine dernière. D’abord un premier point c’est qu’elle expédie –  il n’y a pas d’autre mot –  elle expédie en quatre lignes en paragraphe 13 l’attaque génocidaire du 7 octobre 2023. Elle n’évoque pas les atrocités qui ont été commises et sont largement documentées : les femmes mutilées et violées, les femmes enceintes éventrées, les fétus démembrés, les enfants décapités, les bébés mis vivants dans les fours. Rien. C’est totalement évacué en 4 lignes. C’est quand même choquant parce que tout démarre de là. A la fin de son ordonnance, en paragraphe 85, elle fait part de sa grave préoccupation pour le sort des otages et elle appelle à leur libération immédiate et inconditionnelle : sauf que c’est un vœu pieux, c’est le service minimum, elle ne pouvait pas faire moins. Mais elle sait très bien que ça sert à rien, le Hamas n’est pas lié par elle. Donc, on a l’impression quand même d’une posture qui ne coûte pas grand-chose, vraiment pas grand-chose. Et quand elle souligne, dans ce même paragraphe 85, que « toutes les parties au conflit dans la bande de Gaza sont liées par le droit international humanitaire », elle sait pertinemment que le Hamas n’est pas un Etat et qu’il n’est pas lié justement. Pourquoi cette phrase ? C’est une concession à qui ? En tout cas ça n’a rien de convaincant, ça fait partie de ce qui est gênant dans cette décision. Mais il n’y a pas que ça, il y a d’autres choses qui sont graves.

Au paragraphe  45, la Cour déclare «les Palestiniens semblent constituer un « groupe national, ethnique, racial ou religieux» distinct ».

Examinons le vocabulaire utilisé ici par la C.I.J. – qui est prudente puisqu’elle utilise le mot « semblent ».

« Distinct » : de quoi ou de qui ? Elle ne le précise pas. 

« Semblent » : mais au vu de quoi ?

Elle présuppose parce que s’il n’y a pas de « groupe national, ethnique, racial ou religieux », il ne peut pas y avoir de tentative de génocide et donc elle n’est pas valablement saisie. Mais au vu de quoi elle postule ainsi que, peut-être, il y aurait un « groupe national, ethnique, racial ou religieux » appelés « les Palestiniens » ? Est-elle chargée de définir ce qui ne relève pas du droit ? C’est pourtant ce qu’elle fait là, alors qu’elle n’a aucune compétence pour se prononcer sur cette question. D’autant que les dirigeants des mouvements palestiniens eux-mêmes ont, à plusieurs reprises, affirmés qu’ils sont des Arabes, des Arabes venus pour l’essentiel d’Égypte, quelquefois d’Arabie c’est le cas de la fameuse famille Al Tamimi qui vit en Judée Samarie : ce clan est originaire d’Arabie Saoudite. Selon l’historien arabe de Palestine Abd- Al-Ghani Salameh : «En 1917 [c’est-à-dire au moment du démembrement de l’Empire ottoman], il n’existait pas de peuple palestinien»etles habitants de Palestine passèrent  de la domination ottomane à la domination de la puissance mandataire «sans avoir constitué un peuple palestinien avec une identité politique». On se demande donc ce qui a autorisé la Cour à s’aventurer sur un terrain qui n’est pas le sien, le terrain politique, le terrain ethnologique mais certainement pas le terrain juridique.

Cela fait partie des choses qui font sursauter dans cette décision, qui mettent mal à l’aise. De la même façon que l’on est très mal à l’aise lorsque on lit que les preuves retenues pour rendre « plausible » le risque de génocide, ce sont des rapports de l’UNRWA pour l’essentiel, du secrétaire général de l’ONU et du directeur de l’OMS : ce sont des organes de l’ONU, c’est-à-dire qu’ils sont juges et parties et c’est par eux qu’on apporte les preuves !

S’il s’agissait d’une décision interne, elle serait largement vilipendée.


[1] Une clérouquie (en grec ancien κληρουχία / klêroukhía) désigne l’assignation par tirage au sort de lots de terre civique (kleros) à des soldats-citoyens, les « clérouques », et par extension ce type de colonie militaire elle-même. On trouve des clérouques à  Athènes au V et au IV siècle av. J.-C., et dans le royaume lagide en Egypte à partir de la fin du IVsiècle av. J.Ch.  Un kleros désigne en Grèce antique le lot de terre dont un citoyen est titulaire. Dans le cadre de l’établissement d’une colonie ou dans les clérouquies athéniennes, la terre était ainsi divisée entre les citoyens en autant de kleroi

[2] https://perditions-ideologiques.com/2021/10/06/la-theologie-de-substitution-et-ses-manifestations-contemporaines-toponymie-juive-dans-la-presse-francaise/

[3] Et par l’Iraq https://fr.wikipedia.org/wiki/Cisjordanie

3 réflexions au sujet de “Retranscription de l’entretien avec Danielle Khayat du 1er février 2024: Droit international, colonisation, occupation, CIJ et génocide.”

  1. Intervention fondamentale ; merci de cet approfondissement ; Les drits entiers d’Israel sur le territoire du mandat britannique approuvé par la SDN sont établis par la résolution de San Remo avril 1920 , Je connais un peu le sujet ; voici quelques auteurs anglo-saxons à étudier Howard Grief , juriste canadien , Paul Riebenfeld juriste américain .Le rapport du Juge de la Cour supréme en 2012 Edmond Lévy confirme aussi les droits d’Israel a annexer les terres domaniales de l’ancien occupant -sans titre – jordanien .

    Ceci dit les accords d’Oslo ont porté un sale coup à ces piliers juridiques essentiels .

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      1. Au plan démographique : Joan Peters  » From time immemorial  » Harper Press 1982 avec les recensements ottomans et les rapports de Reginald Storr sur l’afflux d’ arabes migrants économiques ( ouvriers-maneuvres ) arrivés d’Egypte-Soudan-Irak entre 1920 et 1940 qui sont proclamés Palestiniens  » de tout temps  » par les Etats arabes après 1949 . Howard Grief  » the legal foundations and borders of Israel under International law  » Mazo publications 2008 Jerusalem ; Paul Riebenfeld  » Jewish Legitimacy in Judea Samaria Gaza « Yale University Press . Eugéne Rostow Doyen de la faculté de droit a Yale a aussi écrit sur le sujet .

        Reste l’ignorance du public y compris en Israel , et la démarche suicidaire de la gauche ( Oslo 1992) et meme de la droite ( Sharon 2005 désengagement- Netanyahu le pseudo-deal Qatari ) .

        Quand aux USA , c’est un allié étouffant ..

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