Yana Grinshpun
Depuis le début de la « paisible » « marche du retour », organisée par Hamas dans la bande de Gaza et couverte par de nombreux journalistes internationaux et nationaux, la presse écrite, la télévision et la radio déclinent à toutes les sauces les dérivés du mot « paix » caractérisant les « manifestations » des Gazaouis. Les co-occurrences (la présence de deux ou plusieurs termes en contexte immédiat) de ce mot sont toujours les mêmes : femmes, enfants, manifestants, mobilisation….
Voici quelques exemples :
« Tous les vendredis depuis le 30 mars, Les Palestiniens manifestent pacifiquement à la frontière d’Israël avec Gaza, pour la « marche du grand retour » (Le Monde ,15 mai 2018)
« Lors de ces rassemblement pacifiques, encouragés par les factions palestiniennes, près de 50 personnes ont été tués par les soldats israéliens, et plus de 2000 autres blessés par balles, dont 250 femmes » (idem)
(En regardant la photo qui accompagnent l’article, on croirait soit que le journaliste s’est trompé d’image pour illustrer son propos, soit qu’il s’agit du cynisme sans bornes, soit que le terme « paisible » n’est pas perçu de la même manière par les usagers du français).
Libération insiste en titrant
« Les palestiniens veulent poursuivre la mobilisation pacifique » (16 mai 2018)
Si l’on résume l’ensemble des titres et des articles des médias français de ces derniers jours, et si, par ailleurs, on se souvient que l’information n’est pas une simple transmission, mais la construction linguistique et idéologique qui s’inscrit dans le positionnement des scripteurs (la manière dont le locuteur se situe dans l’espace social conflictuel), la perception des événements par un lecteur moyen revient à penser que les dominateurs armés assassinent les pacifiques hommes et femmes sans défenses autres que leurs convictions, et qui manifestent paisiblement à la frontière de Gaza.
S’agit-t-il de la « manifestation » ? Est-elle « paisible » ? Qui sont les « victimes » ? L’article précédent de Jean Szlamowicz traite déjà de ce sujet important de dénomination. Mais puisque les médias insistent, il nous incombe également d’insister sur le détournement des termes.
En sciences humaines, on appelle traditionnellement une « manifestation » démonstration collective pacifique, publique et organisée d’une opinion ou d’une volonté qui a une visée symbolique et stratégique. On distingue entre manifestation, rassemblement (statique), attroupement (inorganisé) et émeute qui fait de l’espace public un champ de bataille (cf. P. Favre 1990)[1].
Organisée à l’appel du mouvement terroriste Hamas reconnu comme tel par la Cour de justice européenne, au pouvoir à Gaza, pour forcer la barrière séparant ce territoire d’Israël et provoquer les garde-frontières, cette action est tout sauf manifestation pacifique. Envoyer les enfants et les jeunes jeter des pierres, des cocktails Molotov, des cerfs-volants enflammés pour provoquer des incendies, appeler les gens à enfreindre les lois et les frontières (même l’Autorité Palestinienne reconnaît les frontières entre Gaza et Israël), provoquer les événements meurtriers quitte à y perdre leur vie pour une cause « paisible », celle de chasser l’occupant juif ne permet pas d’attribuer à cette action ni le référent « manifestation », ni le prédicat « paisible ».
Voici les extraits de la charte du Hamas qui se trouvent traduits en français sur le site chroniquepalestine (nous ne savons pas qui est le traducteur et quelle est la fiabilité de cette traduction. Néanmoins, provenant d’un site islamiste, il y a fort à parier que ces paragraphes ne soient pas très mal traduits)
http://www.chroniquepalestine.com/charte-mouvement-hamas-version-francaise/
- La libération de la Palestine est le devoir du peuple palestinien en particulier et le devoir de la Oummah arabe et islamique en général. C’est aussi une obligation humanitaire telle que requise par les impératifs de la vérité et de la justice. Les agences travaillant pour la Palestine, qu’elles soient nationales, arabes, islamiques ou humanitaires, se complètent et agissent en harmonie, et non pas en conflit les unes avec les autres.
- Résister à l’occupation avec tous les moyens et méthodes est un droit légitime garanti par les lois divines et par les normes et lois internationales. Au cœur de cela se trouve la résistance armée, qui est considérée comme l
choix stratégique pour la protection des principes et des droits du peuple palestinien. - Le Hamas rejette toute tentative de saper la résistance et ses armes. Il affirme également le droit de notre peuple de développer les moyens et outils de résistance. Gérer la résistance, en termes d’escalade ou désescalade, ou en termes de diversification des moyens et des méthodes, fait partie intégrante du processus de gestion du conflit et ne devrait pas se faire au détriment du principe de résistance.
- Un véritable État palestinien est un État qui a été libéré. Il n’y a pas d’alternative à un État palestinien totalement souverain sur l’ensemble du territoire national et du sol palestinien, avec Jérusalem comme capitale.
Un Etat Palestinien libéré doit être libéré de Juifs, voici l’objectif de l’existence du Hamas, ses dirigeants le reconnaissent sans que cela leur pose un problème de conscience: la paix ne pourra venir à cette terre tant que la Palestine ne sera pas libérée. Contrairement aux journalistes français qui, dans leur humanisme prétendument aveugle refusent de le voir, ou de le dire, ce qui relève de l’occultation.
Ainsi qu’ils refusent de voir dans l’utilisation des enfants et des adolescents palestiniens comme boucliers humains un phénomène de sacrifice humain. Naguère, les sacrifices humains étaient faits pour apaiser les dieux, au nom de la paix, donc. Chez les Aztèques, c’était une cérémonie ritualisée et ceux qui étaient sacrifiés pouvaient être volontaires. Les combattants du Hamas ont des croyances communes avec celles des Aztèques : les deux pensent que le destin après la mort ne dépend pas de la vie, mais de la façon de mourir. Ainsi, mourir en combat ou en sacrifice est une mort digne qui promet la vie meilleure après la mort au sacrifié et la pension alimentaire à vie payée à sa famille par le Hamas.
C’est ainsi que les sacrifiés qui choisissent leur destin s’appellent « martyrs » et bénéficient d’un statut prestigieux dans la mémoire collective palestinienne. Leurs familles ne cachent pas l’incitation au martyr. Piotr Smolar, le correspondant du Monde en fait part dans son article du 15 mai en rapportant les paroles d’une jeune palestinienne :
« « Quand j’ai quitté la maison ce matin, j’ai senti que je pouvais mourir. Je veux être une martyre. Je le veux depuis mon plus jeune âge ». Walla Abou Naji est certaine que sa mère serait enchantée d’une telle fin » (p.12)
Cette observation est partagée par de nombreux témoins sur place et par ceux qui voient la complaisance des journalistes occidentaux qui, comme Smolar, ou ceux qui étaient là avant lui, dédouanent les palestiniens de toute responsabilité de leurs actes, le Hamas de sa politique sinistre de sacrifice et attisent la haine d’Israël de manière consciente. Il est fort difficile de s’imaginer un Israélien ou un Juif de sacrifier un enfant pour quelque dieu que cela soit ou quelque idée que cela soit. Et cela depuis les temps immémoriaux, ceux-là où naît le monothéisme. Pour la judaïsme mais aussi pour la culture occidentale le sacrifice humain est considéré comme impensable, immoral, criminel.
Qu’en disent les Israéliens? Nous ne savons pas. Rarement, la parole leur est donnée ou, si elle est donnée, c’est toujours aux extrémistes, aux fous et aux marginaux qui ne font que renforcer la doxa anti-israélienne déjà bien installée dans les consciences européennes. Les témoins israéliens n’existent pas dans le discours journalistique français, seules existent des entités abstraites et sans visage humain « armée israélienne », « soldats israéliens », « Etat hébreux », la parole est confisquée aux israéliens à visage humain. Tant que cette situation perdurera, les « éclaireurs » du conflit participeront, ne fut-ce que de manière détournée, aux sacrifices humains et à la haine d’Israël.
La conscience occidentale semble s’atrophier progressivement devant ce phénomène en se laissant berner par les mots détournés de leur sens et par les médias qui oublient que l’éthique journalistique prescrit non seulement le souci d’objectivité ou de fidélité (chose impossible, toutes les recherches le démontrent), mais aussi le souci de se demander quel effet produirait son texte final sur les lecteurs.
[1] P. Favre et al.(1990) La manifestation, Paris : Presses de la fondation nationale des sciences politiques