Shmuel Trigano
Il s’est produit ces jours-ci un événement significatif. Des enseignants ont créé un hashtag intitulé ironiquement « Pas de vagues » pour dénoncer le silence imposé par le pouvoir et les médias sur la chronique pas très brillante de ce qui se passe dans l’enseignement public, sur le plan de la discipline et du supposé « vivre-ensemble ». Et c’est la porte ouverte à de nombreux témoignages et récits qui trouvent là à s’exprimer, secouant le discours « autorisé » habituel, qui vient (à peine) de se lézarder avec la confession tonitruante de l’ex-ministre de l’intérieur. Et évidemment cette foule de témoignages de vécus vaut comme une gigantesque accusation de la hiérarchie de l’Education Nationale, depuis les rangs inférieurs jusqu’au sommet, parce que, depuis tant d’années, elle a fait comme si la gravité du problème n’était pas aussi prononcée, voire comme si elle était inexistante.
Et cet événement m’a rappelé quelque chose : il y a 18 ans, avec le début de l’intifada palestinienne — fruit des accords d’Oslo — lorsqu’un silence total a recouvert les 500 agressions antisémites perpétrées durant plusieurs mois en France et qui sont restées censurées (je ne vois pas d’autre mot) par le gouvernement, les médias, la société. C’est une faute qui ne passe toujours pas car la dégradation de la situation globale jusqu’à ce jour a découlé de cette démission. Ceux qui alertaient sur ce fait grave (les « lanceurs d’alerte », comme on dit) se voyaient remballés et accusés de racisme au point que les victimes devinrent les coupables. Dans l’argument de la plainte des enseignants, on voit parfaitement à l’œuvre un semblable syndrome qui voit des chefs d’établissement critiquer l’enseignant plaignant, l’accuser de défaillance, d’échec ou de trop de sensibilité. Nous, nous avions vu des chefs d’établissement demander aux parents d’enfants juifs en butte à certains élèves de changer d’établissement !
Cette démission, cette lâcheté sont responsables de la situation dans laquelle se retrouve la société française par complaisance apeurée. Entre temps, depuis 18 ans, il y a eu, pour ceux qui le pouvaient, séparation des populations, exode hors de l’éducation nationale vers l’école juive ou privée. D’autres, par milliers, ont quitté la France sur le constat que le Pouvoir les avait abandonnés. Mais la menace n’a pas cessé. Elle n’est même plus rapportée, ni dénoncée auprès des autorités qui, de toute façon, l’enterreront.
Je voudrais proposer de créer un hashtag qu’on pourrait nommer humoristiquement, comme dans l’esprit des enseignants #vivreensemble, sous le signe duquel la chronique des incidents serait rapportée par ceux qui n’attendent plus qu’ils soient condamnés.
De nombreux essayistes se sont demandé pourquoi et comment s’est installée cette double scène de la conscience et du discours dans une société entière. Quelle pusillanimité, quel calcul sombre, quelle tactique erratique y a présidé qui ont fait que le pouvoir n’a pas eu le courage d’assumer sa responsabilité du maintien de l’ordre, de reconnaitre l’état des faits. La déclaration, quelques années après, du ministre de l’intérieur d’alors, du gouvernement Jospin (la « gauche »!), Daniel Vaillant, qui reconnut que le gouvernement avait exercé une censure sur les événements « pour ne pas ajouter de l’huile sur le feu » est terrible car elle signifie que le Pouvoir avait abandonné ses citoyens juifs, leur sécurité et leur dignité, pour assurer « la paix publique ». Souvent on évoque comme motifs la culpabilité post-coloniale, le multiculturalisme, le politiquement correct. Sans émettre ici un jugement sur ces idéologies, en quoi autorisaient-elles à légitimer l’hostilité envers les Juifs, tout au moins à la « comprendre »? C’est là qu’on retrouve la politique arabe du Quai d’Orsay et l’inimitié ambiante envers Israël qui est le bruit de fond de tous les médias cornaqués par l’Agence France Presse, sans oublier le militantisme antisioniste de certains syndicats d’enseignants de la gauche, comme si la supposée culpabilité d’Israël justifiait, en tout cas, permettait de « comprendre » l’antisémitisme islamiste que le mensonge public attribua alors, et de façon dogmatique, à l’extrême-droite. C’est ce qu’on appela dans le discours ampoulé des médias les « tensions inter-communautaires », concept sournois qui, en fait, sortait les Juifs de la norme citoyenne, les rétrogradait à la condition de nouveaux venus inintégrés de sorte que la France n’aurait plus qu’à avouer son impuissance désolée et avouer son regret devant deux « communautés » immigrées qui s’affrontaient (remarquons l’identification des victimes aux coupables) sur son sol. C’était comme un sacrifice des Juifs sur l’autel du « vivre ensemble ». C’était aussi une massification des musulmans, catastrophique pour leur condition, parce qu’ils étaient identifiés en bloc à l’antisémitisme.
On peut se demander si les choses ont évolué aujourd’hui. On peut répondre non, sous la gouverne de l’ex-ministre Collomb, voix que les médias ne peuvent exclure facilement en l’accusant de folie ou de fascisme. Si l’on reprend le classement de Macron, il y a gros à parier que les supposés « progressistes » ne verront dans la situation que le « vivre ensemble » sans voir qu’il est le contraire de « l’être ensemble », ce qui définit bien la nation et pas la salle des pas perdus que les « progressistes » lui ont substituée.
*A partir d’une chronique sur Radio J, le vendredi 26 octobre 2018